La Cour des comptes a présenté jeudi des recommandations pour assurer le financement de l'économie française, qui sonnent comme des conseils au nouveau gouvernement et visent notamment les deux placements préférés des Français, Livret A et assurance-vie.
Sans se prononcer sur son opportunité, la Cour conseille ainsi la prudence pour le doublement du plafond du Livret A, promis par le président François Hollande pour développer le logement social : étaler la mesure "sur plusieurs années", la coupler éventuellement à un changement du calcul du taux de rémunération, soumettre les dépôts supplémentaires aux prélèvements sociaux.
Les magistrats financiers suggèrent aussi d'aménager la fiscalité de l'assurance-vie et d'en faire varier la rémunération selon la durée de détention, afin de privilégier une épargne plus longue.
Le rapport sur "L'Etat et le financement de l'économie" aborde une série d'autres problématiques : impôt sur les sociétés, soutien aux PME, financement des collectivités locales, rôle de la Caisse des dépôts (CDC)... Il trace ainsi les grandes lignes de ce que pourrait être une refonte de la politique économique.
L'exercice se base sur un état des lieux exhaustif, et inédit depuis 1986, des problèmes de financement rencontrés par les acteurs économiques et de leurs causes, tant historiques qu'induites par la récente crise financière.
La Cour s'est autosaisie de la question, mais le timing de son rapport, publié au moment de l'arrivée d'un nouveau gouvernement, ne semble pas innocent. Quant au diagnostic, il est plutôt sévère.
L'économie est trop endettée, tant du côté des administrations publiques que du secteur privé. Les premières affichaient l'an dernier un déficit de 103 milliards d'euros, et le second de 65 milliards.
L'épargne des ménages, si élevée qu'elle soit (15% à 17% des revenus), ne couvre plus les besoins, notamment du secteur productif, car elle s'oriente surtout vers les emprunts d'Etat, l'étranger et l'immobilier.
Les entreprises ont en outre des difficultés croissantes à trouver des fonds auprès des banques et des assureurs, en raison des nouvelles exigences réglementaires imposées à ceux-ci à la suite de la crise financière.
La fiscalité "a nourri certains déséquilibres"
Et les moyens d'intervention classiques de l'Etat (subventions, garanties, recours au cofinancement avec le secteur privé) trouvent leurs limites, "émoussés" par un usage déjà très intensif. Il a notamment largement usé de sa garantie, entre autres pour aider la banque en grande difficultés Dexia ou d'autres pays de la zone euro, relèvent les "sages" de la rue Cambon.
"Nous sommes à un moment charnière. L'Etat ne peut plus continuer à mobiliser ses moyens comme avant, il doit en réorienter une partie", explique-t-on à la Cour.
Beaucoup de ses propositions touchent à la fiscalité, qui "a nourri certains déséquilibres" : en poussant les ménages à favoriser les placements liquides et de court terme, en encourageant les entreprises à se financer par l'endettement vu que les intérêts des emprunts étaient déductibles fiscalement...
Le rapport appelle à davantage cibler les niches fiscales vers l'investissement productif ou les PME.
Il plaide aussi pour "réorienter l'épargne vers le long terme", horizon des entreprises pour leurs investissements, mais aussi des ménages pour leur retraite par exemple. C'est dans ce contexte qu'interviennent les propositions sur l'assurance-vie et le Livret A.
Le rapport conseille aussi d'accompagner davantage les PME et les collectivités locales dans leur financement, de renforcer le rôle de pilotage donné à l'Etat, et appelle surtout à sortir de "la logique d'endettement".
Entre 2000 et 2011, le taux d'endettement global (public et privé) en France est passé de 150% à 210% du PIB. En Allemagne, il est resté stable à 180%.