Derrière son étal couvert de fruits du centre de Moscou, Natalia Ivanova soupire: "Tous les prix augmentent". L'embargo alimentaire commence à toucher les portefeuilles, la guerre des sanctions fait rage et les Russes se serrent la ceinture en attendant des jours meilleurs.
"Ce n'est plus réaliste de faire ses courses", poursuit la jeune femme brune en tablier bleu.
Un peu plus loin dans ce petit marché, Zarina montre sur son étal citrons et kiwis. "Tous les fruits importés deviennent plus chers".
L'embargo sur la plupart des produits alimentaires européens et américains, décrété brusquement début août en réponse aux sanctions occidentales liées à la crise ukrainienne, a constitué un choc en Russie. Pour certaines catégories (produits laitiers, porc, poisson), la part des produits importés représente un tiers de la consommation.
Les craintes de pénurie similaires à celles de l'époque soviétique ou des années 1990 se sont rapidement dissipées, mais l'évidence s'est rapidement imposée malgré les promesses de vigilance des autorités. La baisse de l'offre aura des conséquences sur les prix, alors que l'inflation dépassait déjà 7% à cause de la chute du rouble.
Sur le seul mois d'août déjà, les statistiques officielles montrent une augmentation de 2,5% du prix de la viande, de 1,4% pour le poisson, de 0,2% pour produits laitiers. Et le pic d'inflation n'est attendu par les experts que début 2015.
Les médias russes ont fait état de flambées des étiquettes ponctuelles dans certaines régions isolées, notamment pour la volaille, comme l'île de Sakhaline dans l'Extrême Orient ou l'enclave de Kaliningrad sur la mer Baltique.
- Les consommateurs 'nerveux' -
La population, habituée à des taux d'inflation élevés, se montre stoïque, d'autant que la crise ukrainienne a entraîné une vague de patriotisme et resserré les rangs autour du pouvoir de Vladimir Poutine, dont la popularité a atteint des records.
"Les sanctions? Elles vont aider le pays" tranche Vladimir, qui fait ses achats dans le marché moscovite, en référence aux promesses des autorités de profiter de la situation pour doper la production agroalimentaire nationale.
Malgré ces discours, la hausse des prix reste la préoccupation de 71% des Russes, selon un sondage publié vendredi par le centre Levada. Et les comportements changent.
"La hausse des prix représente un lourd fardeau pour la population" et "la consommation des ménages commence à baisser de manière sensible", estime Igor Nikolaïev, expert de la société de conseil FBK.
L'économiste souligne que la hausse de prix est d'autant plus douloureuse qu'elle intervient "en l'absence de croissance économique, ce qui veut dire que les salaires n'augmentent pas, qu'on n'embauche pas de nouveaux employés".
Résultat: les Russes retardent les grosses dépenses, ce qui frappe de plein fouet par exemple le marché automobile (-26% en août sur un an), ou encore les voyages. Le patron de la compagnie Aeroflot a récemment évoqué une chute de la demande plus vue depuis la crise de 2009.
Pour ces deux secteurs, la chute du rouble pèse particulièrement, renchérissant pièces détachées importées ou tout séjour à l'étranger. En outre, les taux des prêts augmentent et deviennent intenables pour une population déjà très endettée.
Mais surtout, l'incertitude pèse quand les journaux télévisés font quotidiennement la chronique des sanctions réciproques qui se durcissent et des risques de récession qui en découlent.
Désormais, Moscou envisage de limiter les importations de certaines automobiles voire de vêtements des pays occidentaux.
"Les gens sont nerveux", reconnaît Maria Vakatova, de la société de conseil Watcom. Cette entreprise mesure la fréquentation des centres commerciaux moscovites avec son indice "Shopping", en chute de 20% fin août par rapport à l'année dernière.
"Normalement, le nombre de visiteurs augmente en préparation de la rentrée. Cette année, les Russes ont moins dépensé", explique M. Vakatova.
L'indice de confiance des consommateurs MNI est tombé de son côté à un record de faiblesse en août. "Bien que la popularité du président Poutine soit au plus haut depuis l'annexion de la Crimée, notre étude montre que les consommateurs sont de plus en plus insatisfaits", a souligné Philip Uglow, chef économiste de MNI.