Droite et gauche du Parlement européen se sont lancées jeudi dans un marchandage sur la Commission Juncker mettant en jeu notamment le conservateur espagnol Miguel Canete et le socialiste français Pierre Moscovici, qui n'a pas encore obtenu son quitus.
Après trois heures d'une audition serrée jeudi matin, la commission des affaires économiques du Parlement a demandé à M. Moscovici, nommé commissaire aux affaires économiques et monétaires, de répondre "par écrit" d'ici au début de la semaine prochaine à de nouvelles questions, a-t-on appris de sources concordantes.
Cette décision, annoncée sur son compte Twitter par le député Vert allemand, Sven Giegold, a été confirmée par plusieurs sources européennes.
La droite ne met pas en cause les compétences de M. Moscovici, mais sa crédibilité, ayant été pendant deux ans ministre des Finances d'un pays qui ne parvient pas à réduire ses déficits.
Nous voulons des "éclaircissements" sur "sa crédibilité pour la mise en œuvre du pacte de stabilité, et sur la répartition des compétences" avec les vice-présidents chargés des questions économiques, a expliqué la députée libérale française Sylvie Goulard.
"Le jugement final sur sa candidature dépendra de la répartition exacte des tâches entre lui et les deux vice-présidents sous lesquels il est placé, Jyrki Katainen, chargé de la croissance et de la compétitivité, et Valdis Dombrovskis, chargé de la zone euro", a précisé le député français UMP Alain Lamassoure. MM. Dombrovskis et Katainen, tous deux conservateurs, doivent être auditionnés lundi et mardi.
"C'est une prise d'otages respectivement" du PPE (droite) et des socialistes, a estimé une source européenne. Le Parlement n'a pas le pouvoir de récuser individuellement tel ou tel commissaire, mais son opposition à un ou plusieurs candidats pourrait entraîner la chute de l'ensemble de la Commission au moment du vote d'investiture qui aura lieu le 22 octobre.
- 'Chantage Canete contre Moscovici' -
Le PPE avait prévenu il y a plusieurs semaines que si l'un de ses commissaires était menacé, il demanderait la tête d'un socialiste, en l’occurrence de M. Moscovici. Plusieurs diplomates européens avaient évoqué un "équilibre de la terreur" entre les deux grandes formations qui tiennent le Parlement européen dans une logique de grande coalition.
Or, plusieurs commissaires de droite sont sur la sellette. Les eurodéputés sont restés sur leur faim à l'issue de l'audition du conservateur britannique Jonathan Hill (Services financiers), dont certaines réponses évasives les ont décidés à le convoquer pour un oral de rattrapage en début de semaine prochaine.
A l'issue d'auditions difficiles, le conservateur hongrois Tibor Navracsics (Éducation et Citoyenneté), et la libérale tchèque Vera Jourova (Justice et Égalité des genres), ont été invités à répondre par écrit à de nouvelles questions.
Mais la situation est particulièrement difficile pour un autre conservateur, l'Espagnol Miguel Arias Canete (Energie et Climat). Empêtré dans des conflits d'intérêts concernant des participations dans l'industrie pétrolière, il a éludé mercredi soir plusieurs questions, au cours d'une audition très tendue. A la demande des socialistes, un vote a été renvoyé au début de la semaine prochaine dans l'attente d'éclaircissements sur sa déclaration de patrimoine.
La réponse ne s'est pas fait attendre. Jeudi matin, les eurodéputés de droite se sont montrés virulents à l'égard de M. Moscovici. Ce dernier a inlassablement répondu en se posant en défenseur des règles budgétaires. "Je le redis, je suis là pour faire respecter les règles, pas pour les modifier, pour défendre je ne sais quelle dérogation", a-t-il martelé.
Mais il ne les a pas convaincus. "Moscovici est difficilement crédible", a réagi le PPE, demandant un "M. Stabilité, pas un M. Flexibilité". "Comment être certains que vous serez le braconnier devenu garde-chasse ?", lui a lancé la députée libérale néerlandaise Sophie In't Veld. Les socialistes français ont quant à eux dénoncé un "chantage Canete contre Moscovici".