par Eliana Raszewski et Sarah Marsh
BUENOS AIRES (Reuters) - L'Argentine se réveille jeudi en situation de défaut sur sa dette pour la deuxième fois en douze ans après l'échec des négociations de la dernière chance avec deux fonds spéculatifs qui ont refusé de participer à la restructuration consécutive à la crise de 2001-2002.
Un juge américain avait ordonné à Buenos Aires de rembourser 1,33 milliard de dollars de créances détenues par les fonds NME (une unité du fonds Elliot Management) et Aurelius avant les 539 millions de dollars dus à d'autres créanciers, qui ont accepté eux de tirer un trait sur 70% de leurs créances totales lors des restructurations de 2005 et 2010.
Buenos Aires avait officiellement jusqu'à la fin de la journée de mercredi, heure de New York (04h00 GMT jeudi), pour sortir de l'impasse.
Aucun accord n'a pu être trouvé à temps avec les deux fonds "réfractaires" - que l'Argentine qualifie de "fonds vautours" - aux termes de deux jours d'intenses tractations.
Le projet de rachat des créances de NME et d'Aurelius par un groupement de banques privées argentines, qui auraient ensuite discuté d'un remboursement avec le gouvernement argentin, n'a pas été retenu.
"Malheureusement, aucun accord n'a été conclu, et la République d'Argentine va se retrouver de façon imminente en situation de défaut", a annoncé mercredi soir à New York le médiateur américain dans ce dossier, Daniel Pollack.
Le ministre argentin de l'Economie, Axel Kicillof, a indiqué pour sa part que l'Argentine avait soumis en vain aux fonds réfractaires les mêmes termes de remboursement que ceux qu'elle avait retenus pour le paiement des autres créanciers détenteurs de titres de sa dette souveraine restructurée en 2005 et 2010.
Buenos Aires n'a pas non plus obtenu une suspension de la décision du juge new-yorkais Thomas Griesa à l'origine de cette nouvelle crise.
Avant même la fin officielle de ces négociations, Standard & Poor's a déclassé mercredi soir la note souveraine de l'Argentine, reléguant le pays dans la catégorie "défaut sélectif", qui s'applique aux pays faisant défaut sur un titre spécifique ou sur une classe d'obligations mais honorent leurs obligations de paiement sur d'autres titres ou classes d'obligations.
UN DÉFAUT DE PAIEMENT SANS PROBLÈME DE SOLVABILITÉ...
Ce défaut de paiement ne devrait pas provoquer de choc majeur sur les marchés financiers, dont l'Argentine est à l'écart depuis 2002.
En revanche, il risque d'affecter l'activité dans la troisième puissance économique d'Amérique latine en renchérissant les coûts d'emprunts pour les entreprises, en fragilisant le peso sur le marché des changes et en alimentant de fait l'inflation, déjà parmi les plus élevées de la planète.
"Cela va compliquer la vie d'entreprises comme YPF (ndlr, la compagnie pétrolière publique) qui étaient sur le point de se tourner vers des sources de financement extérieur", avance Camilo Tiscornia, ancien gouverneur de la Banque centrale d'Argentine.
YPF a notamment besoin de fonds pour développer son projet d'exploitation du gisement de pétrole et de gaz de schiste de Vaca Muerta.
La situation devrait néanmoins rester à des années lumières de la crise financière de 2001-2002. L'Argentine avait alors fait défaut sur une centaine de milliards de dollars de dettes, l'économie s'était effondrée dans la foulée et des millions de salariés avaient perdu leur emploi.
"C'est un défaut de paiement très particulier, il n'y a pas de problème de solvabilité. Tout va donc dépendre de la rapidité avec laquelle cela sera réglé", souligne Mauro Roca, analyste chez Goldman Sachs.
Les réserves en devises étrangères de l'Argentine sont estimées à 29 milliards de dollars pour une dette restructurée libellée en devises de l'ordre de 35 milliards de dollars.
(avec Richard Lough à Buenos Aires et Daniel Bases à New York, Mathilde Gardin, Benoît Van Overstraeten, Eric Faye et Henri-Pierre André pour le service français, édité par Marc Joanny)