La livre turque a accéléré jeudi sa dégringolade face au dollar et à l'euro malgré la première intervention directe de la banque centrale en deux ans, signe de l'inquiétude croissante des marchés face à la persistance de la crise politique en Turquie.
Deux jours à peine après sa décision de ne pas augmenter ses taux d'intérêt, l'institution monétaire est entrée en scène "puissamment" dans la matinée alors que la devise nationale (LT) s'approchait de la barre des 2,30 LT pour un dollar et franchissait celle des 3,13 LT pour un euro, nouveaux plus bas historiques.
Cette opération d'urgence a permis d'enrayer quelques heures la chute de la livre, qui s'échangeait en début d'après-midi à 2,2690 LT pour un dollar et à 3,0951 LT pour un euro. Mais en fin de séance, la devise turque est repartie nettement à la baisse, à 2,2915 LT pour un dollar et 3,1363 LT pour un euro.
Sur la même tendance, le principal indice de la bourse d'Istanbul a dévissé de 2,88% à 65.429, 29 points à la clôture.
Tempête politique
Déjà fragilisée depuis l'été par le resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed), la monnaie turque subit de plein fouet depuis plus d'un mois les effets de la tempête politique provoquée par le scandale de corruption qui éclabousse le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan.
Depuis le 17 décembre, la livre a ainsi perdu plus de 10%, enfonçant presque chaque jour son cours plancher face aux devises européenne et américaine.
Dans un communiqué sec, la banque centrale (CBRT) a justifié son intervention sur les marchés des changes par des "développements inquiétants sur les prix".
Selon les estimations des analystes, l'institution financière a puisé pour la seule journée de jeudi entre 1,5 et 2,3 milliards de dollars dans ses réserves.
Mais, si elle a souligné l'urgence de la situation, cette opération ne devrait pas suffire à modifier la tendance baissière de la monnaie turque, jugent les analystes.
"Ce n'est qu'une mesure temporaire", a jugé Ali Cakiroglu, de HSBC. "A notre avis, la CBRT doit procéder à un resserrement par l'intermédiaire d'une hausse substantielle des taux, peut-être pas immédiat mais incontournable, si elle veut stopper la dépréciation de la livre", a renchéri Gökçe Celik, de la Finansbank.
Jusqu'à présent, la banque centrale avait privilégié les injections de liquidités par voie d'adjudication, à hauteur de plusieurs centaines de millions de dollars par jour, pour essayer d'enrayer la chute de la monnaie nationale. Jeudi, elle a directement donné instruction aux banques de vendre des devises.
Pressions
Contre l'avis des marchés, la banque centrale turque avait décidé mardi de maintenir inchangés ses principaux taux d'intérêt, sous très forte pression du gouvernement turc qui souhaite éviter tout impact sur la croissance et de creuser les déficits publics.
Jeudi encore, le vice-Premier ministre en charge de l'Economie, Ali Babacan, a tenté de minimiser l'impact économique de la crise politique qui agite son pays.
"La banque centrale fait ce qu'elle doit faire face à la situation actuelle", a dit M. Babacan depuis le Forum de Davos (Suisse), "nous ne songeons pas à une révision de nos objectifs (croissance, inflation) pour 2014".
Comme les autres pays émergents, la Turquie est victime du resserrement de la politique monétaire de la Fed qui réduit son accès aux capitaux étrangers pour financer à moindre coût ses déficits publics déjà élevés, à plus de 7% de son produit intérieur brut (PIB).
Malgré ces assurances, de nombreux analystes ont déjà révisé à la baisse l'objectif de croissance fixé à 4% pour 2014 par le gouvernement.
Les analystes pronostiquent également que la monnaie turque pourrait continuer jusqu'au niveau de 2,35 LT pour un dollar d'ici un an et anticipent un taux d'inflation supérieur à 7%, après ceux de 7,4% en 2013 et 6,2% en 2012.