La justice allemande pourrait ouvrir la voie mardi aux interdictions des vieux diesel dans les centres-villes les plus pollués, une mesure politiquement risquée dont Berlin vient de proposer une version édulcorée.
La Cour administrative fédérale, qui s'est réunie jeudi dernier, s'était laissé quelques jours pour "débattre en profondeur" la question qui agite depuis des mois l'Allemagne: les communes doivent-elles bannir de leurs rues les véhicules diesel les plus anciens, ou bien est-ce à l'Etat fédéral d'agir?
A partir de 11H00 GMT, les hauts magistrats rendront à Leipzig une décision de principe pour les villes de Stuttgart et Düsseldorf. Cet arrêt aura une portée nationale et devrait accroître la pression tant sur Berlin que sur l'industrie automobile, hostiles à ces mesures.
Poursuivis par l'organisation environnementale Deutsche Umwelthilfe (DUH), les Etats régionaux du Bade-Wurtemberg et de Rhénanie-du-Nord-Westphalie s'étaient vus enjoindre en première instance d'envisager des interdictions de circulation des véhicules les plus polluants dans leurs capitales respectives.
"J'espère (...) que nous aurons une décision claire aujourd'hui à Leipzig", a déclaré Jürgen Resch, chef de la DUH, mardi matin sur la radio Bayerischer Rundfunk.
Le directeur adjoint de la Fédération allemande des chambres de commerce et d'industrie (DIHK), Achim Dercks, a de son côté mis en garde contre "l'hystérie et les décisions irréfléchies prises à la va-vite". Il craint l'impact économique d'interdictions de circulation alors que les trois quarts des flottes d'entreprises roulent au gazole.
- 'Ecran de fumée' -
Sans attendre l'arrêt de Leipzig, le gouvernement fédéral a créé la surprise au cours du week-end en laissant filtrer ses projets pour une version a minima des interdictions de circulation.
Le ministère des Transports envisage désormais de fournir d'ici la fin de l'année la base légale permettant aux communes d'interdire les voitures roulant au gazole sur certaines voies, en cas de dépassement des seuils autorisés de particules fines et d'oxydes d'azote.
"Ecran de fumée ou prise de conscience tardive?", s'est immédiatement interrogée l'association de protection de l'environnement VCD. "Des interdictions de circulation à petite échelle ne font que déplacer le problème", la pollution risquant de se déporter sur les axes adjacents, a regretté Gerd Lottsiepen, l'un de ses porte-parole.
Pour M. Resch de la DUH, il s'agit d'un simple "tour de passe-passe" du gouvernement.
La Fédération des communes allemandes (Städtetag) juge cette mesure inadaptée et réclame, si les interdictions de circulation deviennent inévitables, une vignette bleue nationale sur les pare-brises pour les véhicules les plus propres ou ayant des autorisations exceptionnelles. Elle serait valable pour des zones entières et pas seulement quelques axes routiers, et permettrait surtout de faciliter les contrôles.
- Urgence -
Jusqu'ici, le gouvernement allemand, soutenu par le puissant lobby de l'industrie automobile, s'était opposé à toute forme de limitation pour les voitures diesel.
Il a tenté de les éviter en mettant sur pied un fonds d'un milliard d'euros pour aider les villes à développer leur réseau de transports publics ou encore leur flotte de véhicules électriques.
Les constructeurs tels que Volkswagen (DE:VOWG_p), Daimler (DE:DAIGn) et BMW (DE:BMWG) ont de leur côté entamé une mise à jour de millions de véhicules diesel pour en réduire les émissions polluantes, dans le sillage du scandale aux moteurs truqués de VW, et mis en place des primes à l'achat de véhicules plus propres.
Jürgen Resch, de la DUH, estime que la décision prise à Leipzig pourrait les pousser à aller plus loin, en modifiant en profondeur le système de filtration des gaz d'échappement.
L'Allemagne est d'autant plus pressée d'agir que la Commission européenne la menace de poursuites pour son inaction face à la pollution de l'air.
Quelque 70 villes allemandes présentaient encore en 2017 des taux de dioxyde d'azote supérieurs au seuil annuel moyen de 40 microgrammes/m3 édicté par l'Union européennne, d'après l'Office fédéral de l'environnement. Munich, Stuttgart et Cologne sont les plus touchées.
Les véhicules diesel les plus anciens sont jugés majoritairement responsables des émissions d'oxydes d'azote en zone urbaine, qui favorisent les maladies respiratoires et cardiovasculaires.
Face aux menaces d'interdictions, leur part de marché en Allemagne a fondu de 48% en 2015 à 39% environ en 2017. Mais plus de 9 millions de véhicules diesel aux normes plus anciennes Euro 4 et Euro 5 sont encore immatriculés dans le pays.