par Cyril Camu
PARIS (Reuters) - Quinze ans après la qualification de Jean-Marie Le Pen pour le second tour de l'élection présidentielle, qui avait sidéré la France et jeté des centaines de milliers de personnes dans les rues, la présence de sa fille dans le duo final mobilise peu.
"C'est très étrange", analyse l'historienne Valérie Igounet après la consécration prédite par les sondages de Marine Le Pen. "Il n'y a ni mobilisation, ni mot d'ordre. Le front républicain a du mal à se mettre en place."
Le 21 avril 2002, dès l'annonce des résultats du premier tour, des électeurs étaient spontanément sortis manifester pour protester contre la première qualification pour le second tour du chef d'un parti d'extrême droite.
"Le rejet de Jean-Marie Le Pen avait été massif, dans la société civile, la classe politique ou encore parmi les artistes", déclare à Reuters l'historienne au CNRS.
Dimanche soir, dans un contraste saisissant, seuls quelques dizaines de militants d'ultragauche ont brièvement affronté les forces de l'ordre à Paris mais aucun mouvement d'ampleur émanant de la société civile ne s'est produit jusqu'à présent.
"La mobilisation actuelle est insuffisante", regrette Sacha Ghozlan, président de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF). "Mais il reste encore une dizaine de jours."
Avec d'autres associations, l'UEJF a organisé un rassemblement lundi dans toute le France. A Paris, on comptait environ 500 personnes Place de la République et quelques centaines dans le reste du pays, selon les organisateurs.
"UN FN QUI A CHANGÉ"
Cette faible mobilisation s'explique par plusieurs facteurs.
"On annonce depuis le printemps 2013 que Marine Le Pen sera au second tour. Les jeunes ont eu le temps de se faire à l'idée", analyse David Doucet, auteur de plusieurs ouvrages sur le Front national. Pour le journaliste, la situation actuelle n'a rien à voir avec celle de 2002.
"A cette époque, on pronostiquait la mort du FN. Le voir au deuxième tour a été un choc", ajoute-t-il.
En outre, Marine Le Pen a mené depuis des années une stratégie de dédiabolisation du Front national qui lui a valu de progresser fortement aux élections, jusqu'à devenir le premier parti de France aux élections européennes.
"Marine Le Pen a brouillé les pistes et les électeurs ont davantage de mal à identifier son parti", dit Valérie Igounet.
Pour Dominique Sopo, président de SOS Racisme, "on nous a expliqué que Marine Le Pen n'était pas comme son père. Cette stratégie est perdante".
"Le sujet, ce n'est pas la non mobilisation", abonde un ministre. "[Le sujet] c'est un Front national qui a changé, qui est devenu un vrai parti fasciste à la française comme dans les années 1930, qui a l'apparence d'un discours qui parle aux ouvriers, aux classes populaires. Avec une mondialisation dont on a mesuré les effets, ce qui n'était pas le cas en 2002."
Dès l'annonce de son duel au deuxième tour face à Emmanuel Macron, Marine Le Pen a en effet appelé à faire du 7 mai un référendum contre la mondialisation.
Face à la fille de Jean-Marie Le Pen, "on n'est plus dans ce mythe, très mobilisateur à gauche, de l'antifascisme", analyse Valérie Igounet.
"NI LE PEN, NI MACRON"
D'autant que contre elle, l'ancien ministre de l'Economie Emmanuel Macron, symbole de la loi Travail qui a provoqué plusieurs mois de contestation dans la rue, fracture jusqu'aux syndicats de salariés, qui ne défileront pas unis le 1er mai.
En 2002, plus d'un million de personnes, dont 500.000 à Paris, avaient défilé pour faire barrage à Jean-Marie Le Pen à l'occasion de la Fête du Travail.
Quinze ans plus tard, CFDT et CGT ne sont pas parvenues à trouver un terrain d'entente. Si les deux centrales ont pris position contre l'extrême droite, la CGT refuse d'appeler à voter pour le candidat d'En marche !.
"Il n’y a pas de manifestation pour Emmanuel Macron", s'est défendu le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. "Nous allons dire que nous refusons le Front national et que pour cela nous voulons une politique de justice sociale", a-t-il dit mercredi sur RTL.
Sur les réseaux sociaux, le mot-clé "ni FN ni Macron" à fait son apparition dès l'annonce des résultats, relayé par la mouvance "antifa".
Jeudi, une vingtaine de lycées parisiens ont été bloqués après un appel sur Twitter avec ce mot d'ordre.
Quelques milliers de jeunes ont défilé dans la matinée dans plusieurs villes, comme à Paris, Rennes et Nantes, avec des banderoles telles que "Ni Marine, Ni Macron. Ni patrie, Ni patron", avant d'affronter les forces de l'ordre.
"On ne peut pas mettre sur un pied d'égalité Emmanuel Macron et Marine Le Pen", déplore la présidente de l'Unef, Lilâ Le Bas.
Même si le syndicat étudiant s'oppose à plusieurs mesures du programme du candidat d'En Marche ! il a appelé dès les résultats du premier tour à voter pour lui.
"Mais il y a une vrai défiance des jeunes envers les institutions", conclut-elle.
(Avec Elizabeth Pineau, édité par Yves Clarisse)