L'élection d'Emmanuel Macron avait suscité beaucoup d'espoir chez les industriels de santé, mais depuis fin septembre c'est la douche froide: pour eux, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2018, discuté à partir de mardi à l'Assemblée nationale, ressemble trop à ceux du précédent quinquennat.
"Gestion très comptable et court-termiste", "décevant", "schizophrénie" entre les paroles et les actes, "efforts (demandés) disproportionnés": de conférences de presse en tables rondes, les mots tenus par le secteur vis-à-vis du projet de budget de la Sécu sont très durs.
Dans ce PLFSS, la branche maladie de la Sécurité sociale restera déficitaire de 800 millions d'euros, mais 4,1 milliards d'économies devraient être réalisées.
En pointe de la grogne: les entreprises du médicament (Leem). Selon l'organisation professionnelle, l'industrie pharmaceutique représente en moyenne 15% des dépenses de santé remboursables mais contribue à 43% des plans d'économie de l'assurance-maladie.
"Ce n'est pas nouveau, cela fait des années que notre contribution est disproportionnée et oscille entre 40% et 60%", a déploré auprès de l'AFP Philippe Lamoureux, directeur général du Leem.
Selon ses calculs, l'effort des laboratoires pharmaceutiques représenterait 1,8 milliard d'euros: 970 millions en baisses de prix, 620 millions en baisses de volumes et 210 millions en remises consenties par l'industrie aux pouvoirs publics.
Contacté par l'AFP, le ministère des Solidarités et de la Santé reconnaît un budget "de responsabilité, assez exigeant", mais nie avoir ciblé en particulier l'industrie pharmaceutique. "Ces économies s'appliquent à tout le monde", a-t-il rétorqué.
- Copie du quinquennat précédent -
Les industriels s'attendaient à un changement de cap avec le nouveau gouvernement. Selon Elisabeth Campagne, directrice générale du Syndicat de l'industrie du diagnostic in vitro (Sidiv), Emmanuel Macron s'était en effet montré "très dynamique pour soutenir l'industrie" lorsqu'il était à Bercy.
Pour les industriels interrogés, le PLFSS est pourtant une copie de ceux du quinquennat précédent. Une déception d'autant plus grande que, selon eux, des réformes pro-innovation ont été initiées dans d'autres secteurs de l'économie
"Nous avions peut-être placé beaucoup d'espoir" dans l'élection de M. Macron, résume Stéphane Regnault, président du Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (Snitem).
Interrogé par l'AFP, l'économiste Claude Le Pen explique la persistance des économies demandées à l'industrie pharmaceutique par "les rendements immédiats" de ces mesures et par un "coût politique très faible".
"Tout le monde trouve que les médicaments sont trop chers, ce n'est pas baisser leur prix qui va faire descendre les gens dans la rue", poursuit-il.
- Attractivité en baisse -
Les industriels tentent régulièrement d'alerter les pouvoirs publics contre une stratégie qui, selon eux, entrave l'attractivité de la France.
"Je me bats pour ouvrir un JLab (incubateur de start-up du groupe américain Johnson and Johnson (NYSE:JNJ)) en France", explique Emmanuelle Quilés, présidente de Janssen France, 6e laboratoire français et filiale de Johnson and Johnson: sa principale difficulté est de convaincre la direction américaine qu'investir dans l'Hexagone est plus intéressant qu'investir au Royaume-Uni ou en Allemagne.
Pour le directeur général du Leem, la situation est "très préoccupante", avec des pays voisins qui ont renoué avec la croissance, alors que l'industrie pharmaceutique française s'attend à un chiffre d'affaires en 2017 comparable à celui de 2009.
Des arguments réfutés par l'économiste Mondher Toumi, président du cabinet de conseil Creativ-Ceutical. "Je n'ai pas l'impression que les industriels soient malheureux, l'investissement en santé pharmaceutique en France reste très important au regard de plusieurs pays."
Selon lui, il faudrait toutefois "repenser le modèle de financement du médicament" au lieu de "faire des coupes" année après année. Plus qu'un prix trop bas, c'est "l'absence de prévisibilité" qui pénalise les laboratoires, poursuit M. Toumi.
Le ministère de la Santé a, de son côté, réaffirmé son attachement à l'innovation en précisant qu'il avait augmenté le taux de dépassement autorisé du plafond des dépenses de l'hôpital de 2% à 3% pour "éviter que ces mesures d'économie n'impactent trop les produits innovants".