Les Suisses ont largement plébiscité l'initiative limitant les "rémunérations abusives" des patrons des sociétés suisses cotées en Suisse ou à l'étranger et qui prévoit d'interdire leurs parachutes dorés, ces indemnités de départ de patrons ayant souvent défrayé la chronique dans la Confédération mais aussi en Europe et aux Etats-Unis.
En Suisse, les initiatives -- un droit donné aux citoyens suisses de faire une proposition de modification de loi -- doivent être approuvées par la majorité du peuple et des cantons. L'initiative Minder, du nom de l'homme d'affaires et sénateur UDC (Union démocratique du centre, droite populiste) à l'origine de ce vote, a donc été très bien accueillie par les Suisses: selon la Chancellerie fédérale, elle a été acceptée avec un taux de participation de 46% par 67,9% des voix et tous les cantons ont dit "oui", ce qui est très rare.
C'est un "signal fort" envoyé aux politiques et à l'économie, a déclaré la ministre de la Justice et de la Police, Simonetta Sommaruga, lors d'une conférence de presse retransmise sur internet.
"Le résultat est la conséquence d'un malaise" au sein de la population face au "niveau inconcevable" de certaines rémunération, a-t-elle ajouté.
"Malheureusement, les revenus démesurés (...) n'appartiennent pas au passé. Les exemples les plus récents n'ont pas aidé à avoir un débat objectif", a-t-elle estimé.
La prime de départ de 72 millions de francs suisses (60 millions d'euros), que le conseil d'administration du groupe pharmaceutique Novartis avait prévue pour son futur ex-président Daniel Vasella, ont en effet soulevé en Suisse un véritable tollé fin février. M. Vasella, qui a été pendant des années le patron le mieux payé de ce pays, a d'ailleurs finalement renoncé à ce parachute en or.
"Le peuple a décidé de donner un signal fort envers les conseils d'administration, le Conseil fédéral (gouvernement, ndlr) et le Parlement", a également estimé Thomas Minder, interrogé à la télévision suisse RTS.
"C'est une excellente journée pour les actionnaires", a affirmé pour sa part Dominique Biedermann, directeur de la fondation Ethos, une organisation d'actionnaires qui représente 141 fonds de pension.
L'initiative Minder vise à limiter les "rémunérations excessives" des patrons. Les sanctions en cas d'infraction vont d'une amende correspondant à six ans de revenu à trois années de prison.
Selon le texte soumis au vote des Suisses, la durée du mandat des membres du conseil d'administration devra être limitée à une année, et certaines formes de rémunérations, telles que les indemnités de départ ou les primes pour des achats d'entreprises, seront interdites.
En outre, les rémunérations du conseil d'administration et de la direction devront être approuvées obligatoirement par l'assemblée générale des actionnaires, qui voteront chaque année la somme des rémunérations mise à disposition des membres du conseil d'administration et de la direction.
"Même s'il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, vers la fin on avait l'impression que l'initiative allait passer, surtout avec l'effet Vasella", a expliqué à l'AFP Roby Tschopp, directeur d'Actares, une association qui regroupe plus de 1.300 actionnaires en Suisse, ainsi que des caisses de pensions et des communes.
La principale organisation faîtière des entreprises en Suisse, economiesuisse, farouche opposant de l'initiative, a estimé quant à elle que "le débat émotionnel sur les excès salariaux de certains dirigeants d'entreprises, initié depuis plusieurs années, a empêché (...) une discussion factuelle sur le contenu de l'initiative".
Le texte a également été combattu par le gouvernement suisse. Le Parlement, qui n'avait pas donné de consigne de vote, a mis au point un contre-projet, moins réformateur et permettant d'opter pour des dérogations dans le cas des indemnités de départ.
Si le texte de M. Minder est adopté, il faudra encore attendre plus d'un an avant sa mise en oeuvre. Le gouvernement devra d'abord rédiger un projet de loi respectant les principales dispositions de l'initiative, puis la faire approuver par le Parlement. Faute de majorité, c'est le contre-projet qui entrerait directement en vigueur.
Les experts s'attendent à de longs débats, en raison de la technicité du sujet et des différents politiques, puisque seuls le Parti socialiste et les Verts ont soutenu l'initiative.
Pour le président du Parti socialiste, Christian Levrat, l'initiative n'est qu'un "point départ", avant le vote dans quelques mois sur l'initiative populaire "1:12 – Pour des salaires équitables", déposée par la Jeunesse socialiste suisse, qui exige que le salaire le plus élevé dans une entreprise ne dépasse pas 12 fois le niveau du plus faible.
Apparus aux Etats-Unis au début des années 1980, les "golden parachutes" devaient permettre d'attirer des dirigeants capables de redresser la situation des multinationales.
En France, les parachutes dorés et autres retraites chapeaux ne sont pas interdits mais sont soumis à des cotisations sociales. Le gouvernement a récemment alourdit la taxation des parachutes dorés et des retraites chapeaux (dans la loi de finances rectificative de 2012).
Lors des présidentielles de 2012, François Hollande s'était engagé à un écart de 1 à 20 dans les rémunérations des dirigeants du Public, ce qui a été mis en oeuvre à l'été 2012, tandis que Nicolas Sarkozy avait annoncé qu'en cas de réélection, il proposerait l'interdiction des retraites chapeau et des "parachutes dorés".
Quatre ans après le début de la crise financière, l'Union européenne s'apprête pour sa part à imposer aux banques un renforcement de leur capital et envisage pour la première fois de plafonner les bonus des banquiers, une décision qui suscite l'ire de Londres même si elle reste à confirmer.
Par ailleurs, le gouvernement néerlandais planche actuellement sur un projet de loi visant à limiter les parachutes dorés à un maximum de 75.000 euros. La Haye espère que cette loi pourra entrer en vigueur le 1er juillet 2014, a indiqué à l'AFP un porte-parole du ministère néerlandais des Affaires sociales et du Travail.