PARIS (Reuters) - Martine Aubry est passée à l'offensive dimanche en réclamant une réorientation de la politique économique de la France dans un sens plus favorable à la croissance et en apportant son soutien aux "frondeurs" du PS à la veille d'une semaine où les réformes françaises devraient être évoquées tant à Berlin qu'à Bruxelles.
Dans une interview au Journal du Dimanche et dans une contribution écrite aux Etats généraux du Parti socialiste, la maire de Lille se livre à une critique en règle des réformes engagées par le gouvernement.
"La politique menée depuis deux ans en France, comme presque partout ailleurs en Europe, s'est faite au détriment de la croissance", dit-elle dans les colonnes du JDD. "Les déficits ne se sont pas résorbés et le chômage augmente."
"Je demande une inflexion de la politique entre la réduction des déficits et la croissance. Je demande qu'on réoriente la politique économique", ajoute-t-elle en évoquant sa contribution aux états généraux lancés par le Parti socialiste publiée dimanche sur le site internet www.ensemble-reussir.fr.
Face à ces critiques, le Premier ministre Manuel Valls a réagi indirectement lors d'un discours à Paris devant le forum républicain du Parti radical de gauche (PRG) en soulignant que le débat faisait partie de "l'ADN" de la gauche.
"A gauche, nous avons toujours considéré la diversité comme une richesse. Nous la faisons vivre chaque jour, même chaque dimanche, parfois un peu trop et il faut avoir les nerfs solides. Mais là-dessus, comptez sur moi pour avoir les nerfs solides", a dit le chef du gouvernement.
François Hollande a pour sa part assuré que les réformes se poursuivraient "avec un rythme encore accéléré jusqu'à la fin".
"La France a besoin de réformes, non pas réformer pour réformer, mais réformer pour créer davantage de richesses, davantage d'activité, davantage d'emplois et aussi pour attirer davantage d'investisseurs et davantage d'entreprises", a dit le président de la République à l'issue d'un conseil stratégique consacré à l'attractivité à l'Elysée.
"MIRAGE"
Selon l'ancienne ministre du Travail, la raison profonde du malaise des Français est l'absence de cap. "On ne mobilise pas un pays sur la seule gestion financière, on doit donner la destination du voyage", déclare-t-elle.
Elle reproche à François Hollande, dont elle ne cite jamais le nom, sa politique de l'offre, qui repose sur une baisse des charges et de la fiscalité des entreprises, alors qu'il faut aussi à ses yeux soutenir la demande.
Martine Aubry propose ainsi de cibler les aides uniquement sur les entreprises exposées à la concurrence internationale ou qui investissent et embauchent, ce qui devrait permettre de libérer selon elle 20 milliards d'euros sur les 41 milliards prévus par le Pacte de responsabilité.
Ce montant servirait à soutenir l'investissement des collectivités locales, menacé par la baisse programmée des dotations de l'Etat, et le pouvoir d'achat des ménages.
Pour cela, Martine Aubry propose d'agir sur les loyers avec la loi Duflot sur l'immobilier, que le gouvernement de Manuel Valls a entrepris d'édulcorer, la politique familiale, et des tarifs pour l'eau et l'énergie plus faibles pour les besoins essentiels. Elle juge encore nécessaire de créer davantage d'emplois aidés en attendant le retour de la croissance.
La fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG permettrait aussi de distribuer du pouvoir d'achat aux plus modestes, en l'accompagnant d'un prélèvement à la source.
A l'inverse, la maire de Lille n'a pas de mots assez durs contre les dernières réformes envisagées par le gouvernement. Croire qu'il y a un gisement d'emplois dans l'extension du travail dominical "est un mirage", estime-t-elle.
Elle s'oppose de même à toute modification des règles de l'assurance chômage, un autre thème évoqué ces derniers jours par le gouvernement, "au moment où il y a tant de chômeurs".
A la question de savoir quel rôle elle entend jouer dans la seconde moitié du quinquennat de François Hollande, elle répond : "Je suis candidate... au débat d'idées."
"STATUE PÉTRIFIÉE"
Le ministre de l'Economie Emmanuel Macron a exprimé son désaccord avec les déclarations de la maire de Lille.
"J'ai beau respecter la personne, qui est une grande dirigeante, qui a été une grande ministre, je suis en désaccord avec l'analyse et donc avec les conclusions qu'elle en tire", a-t-il dit dans le cadre du "Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro". "Ce n'est pas avec des solutions classiques que nous pourrons réparer" la situation actuelle, a-t-il ajouté.
Mais tout comme la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, il a jugé que la prise de parole de la maire de Lille était "une bonne chose".
"J'ai toujours été pour la liberté de parole", a déclaré Ségolène Royal sur BFM TV. "Tout le problème vient du fait que pour l'instant il n'y a pas de résultats. Quand les Français voient qu'il n'y a pas de résultats, ils s'interrogent sur le bien-fondé des décisions prises".
A droite, le président UMP du Sénat, Gérard Larcher, a fustigé des "rengaines du passé" lors du Grand Rendez-vous Europe 1-Le Monde-i>télé. Il a comparé Martine Aubry a une statue "pétrifiée".
(Yann Le Guernigou et Marine Pennetier, édité par Danielle Rouquié)