Ancienne figure de proue de la locomotive économique d'Afrique de l'Est, la compagnie aérienne Kenya Airways vient de publier la plus importante perte nette de l'histoire du pays, illustrant les difficultés de la "fierté de l'Afrique" à se dépêtrer de plusieurs années de choix stratégiques désastreux.
Plombée notamment par les taux de change et des coûts d'emprunt en hausse, la compagnie a enregistré une perte nette de 26,22 milliards de shillings (230 millions d'euros) sur l'exercice annuel achevé le 31 mars 2016, effaçant des tablettes son record établi l'année précédente.
"Dans l'histoire du Kenya, aucune autre société n'avait publié de pertes aussi importantes", regrette Aly-Khan Satchu, analyste indépendant, rappelant que Kenya Airways, créée en 1977 à la suite du démantèlement de la East African Airways, était considérée il y a à peine dix ans comme une des compagnies aériennes les plus rentables au monde.
La politique d'expansion baptisée "Project Mawingu" lancée en 2011, avec notamment l'achat de nouveaux Boeing (NYSE:BA) et l'objectif de doubler le nombre destinations pour 2021, a tourné à la catastrophe.
Le nombre de touristes a non seulement chuté en Afrique en raison du virus Ebola et d'attaques terroristes, mais Kenya Airways a également pâti de la concurrence des compagnies du Golfe ou de l'émergence de sa voisine Ethiopian Airlines.
La compagnie aérienne, dont les principaux actionnaires sont le gouvernement kényan et le groupe Air France-KLM, a par ailleurs vu ses comptes décimés par une couverture pétrole ("fuel hedging") catastrophique.
Le "fuel hedging" est un système permettant à une compagnie aérienne d'acheter du kérosène à un prix relativement stable, la protégeant d'une éventuelle hausse soudaine du cours du pétrole.
Mais les accords de Kenya Airways ont induit un effet indésirable: lorsque le prix du baril a chuté à la mi-2014, elle a continué à payer le prix fort alors que la plupart de ses concurrentes avaient conclu des accords sur des périodes plus courtes et ont pu les renégocier rapidement.
L'action Kenya Airways valait près de 140 shillings (1,2 euro) en 2006, elle n'en vaut plus maintenant que 3,85. La dette de la société excède quant à elle allègrement le milliard d'euros.
- 'Sur la bonne voie' -
Pourtant, les analystes refusent de ne voir que du négatif dans les résultats publiés le 20 juillet: le chiffre d'affaires est en hausse de plus de 5%, et la perte opérationnelle a été réduite de 145 millions d'euros à 36 millions grâce à une série de mesures drastiques appliquées à partir de 2015.
"Nous voulons que notre société soit à la bonne taille pour croître de manière responsable", expliquait en mai le PDG Mbuvi Ngunze dans un entretien à l'AFP.
Kenya Airways a par exemple annoncé fin mars qu'elle allait supprimer jusqu'à 600 emplois, soit 15% des 4.000 salariés de l'entreprise. Elle a aussi vendu ou loué ses appareils superflus - réduisant sa flotte de près d'un tiers -, fait voler plus souvent ses avions et a vendu un créneau d'atterrissage à Londres pour en louer un moins onéreux.
"Le résultat opérationnel est vraiment ce que je retiens des derniers résultats", note Eric Musau, analyste pour la Standard Investment Bank. "Ce qui a provoqué la perte nette, ce sont principalement des éléments exceptionnels".
"Kenya Airways est sur la bonne voie, même si la société pourrait encore faire plus dans la vente d'actifs", note M. Musau, citant en exemple un terrain à vendre à proximité de l'aéroport international de Nairobi, ainsi qu'un surnombre de pilotes hérité de la stratégie d'expansion.
Les pilotes ont depuis longtemps perdu toute confiance dans l'équipe dirigeante et réclament depuis plusieurs mois son départ à coup de grèves et protestations.
Un projet pour l'instant mis au placard est particulièrement mal passé: la direction souhaite louer les services de certains pilotes, en surnombre, à Ethiopia Airlines.
Les pilotes réclament en outre la fin du partenariat avec KLM, assurant que l'accord favorise la compagnie aérienne néerlandaise au détriment de Kenya Airways, qui a jusqu'à présent pu compter sur le soutien du gouvernement, notamment par le biais de garanties auprès de créditeurs ou d'injection de capital.
"Il est d'importance nationale et géopolitique pour le Kenya d'avoir une compagnie aérienne, on ne peut pas être le leader économique de la région sans compagnie aérienne nationale", souligne Aly-Khan Satchu. "Mais le Kenya a-t-il les épaules assez larges pour venir à la rescousse de Kenya Airways encore et encore ?"