Dix mois après l'annulation d'une première inculpation, la justice française a relancé des poursuites contre le milliardaire russe Souleïman Kerimov, soupçonné d'avoir commandité l'acquisition de villas sur la Côte d'Azur pour des montants sous-déclarés et mis en examen mardi pour complicité de fraude fiscale aggravée.
En novembre 2017, l'arrestation à sa descente d'avion à Nice du sénateur russe, aujourd'hui libre sous contrôle judiciaire, avait été vivement critiquée par Moscou. Avec un patrimoine estimé à 7 milliards de dollars (environ 6 milliards d'euros) par Forbes, M. Kerimov, originaire du Daguestan, est un des hommes les plus riches de Russie.
Il a été de nouveau entendu et mis en examen mardi, a précisé mercredi à l'AFP le procureur de Nice Jean-Michel Prêtre, confirmant une information de Nice-Matin. "Certains faits caractérisés dans le dossier relèvent de la complicité par instigation", a-t-il ajouté. Autrement dit, M. Kerimov est soupçonné d'avoir été le donneur d'ordres et la qualification juridique des faits a changé.
Il y a une semaine, Alexander Studhalter, le financier suisse soupçonné d'avoir été son prête-nom, avait lui-aussi été ré-interrogé et mis en examen pour "complicité de fraude fiscale". Il a annoncé des recours.
Après cette nouvelle mise en examen, ses avocats ont dénoncé "un acharnement judiciaire" et une "nouvelle violation du secret de l'instruction". "Le dossier d'instruction, en cours depuis de très longues années, n'a connu aucune avancée significative depuis cette annulation" de la première mise en examen, et qu'aucune nouvelle plainte n'a été déposée par l'administration fiscale, poursuivent-ils.
"Il est en définitive reproché à Souleïman Kerimov des faits de complicité d’une fraude fiscale qui aurait été commise il y a dix ans par un tiers co-mis en examen", assurent-ils dans un communiqué.
- Villas de grand luxe -
"Souleïman Kerimov, qui s’est présenté librement hier (mardi) devant les juges alors même qu’il n’avait reçu aucune convocation, conteste avec la plus grande fermeté cette nouvelle mise en examen de complicité de fraude fiscale", ont-ils ajouté annonçant des recours. M. Kerimov a dû acquitter une caution de 20 millions d'euros.
La justice niçoise le soupçonne d'avoir été l'instigateur de l'achat cinq villas de grand luxe au Cap d'Antibes, à grand renfort d'argent liquide et sous un prête-nom. En décembre 2017, le procureur de Nice Jean-Michel Prêtre avait évoqué "un enjeu d'argent clandestin rentré en France tournant autour de 500 à 750 millions d'euros", via, parfois, "des valises à 20 millions d'euros".
Au total, 13 personnes, dont des professionnels de l'immobilier, ont été mis en cause dans cette enquête débutée fin 2014.
Intrigués par des mouvements suspects d'argent liquide observés lors d'une banale planque de la brigade des stupéfiants, les enquêteurs étaient remontés jusqu'à l'oligarque russe. L'achat de la villa "Hier" pour 35 millions d'euros --un montant sous-déclaré comparé au prix de 127 millions réellement payés selon les enquêteurs-- n'avait pas attiré l'attention.
Initialement, la justice niçoise s'était saisie de poursuites pour "blanchiment de fraude fiscale", mais les avocats de M. Kerimov avaient démontré que le blanchiment n'était pas caractérisé, faute de prouver qu'il y ait eu préalablement une fraude fiscale. En juin 2018, M. Kerimov, qui avait échappé à la détention provisoire lors de ce premier volet de l'affaire contre une caution de 40 millions d'euros, avait donc obtenu l'annulation de cette première mise en examen.
L'arrestation de M. Kerimov avait été suivie de près par Moscou: le chargé d'affaires français dans la capitale russe avait été convoqué après que la Douma, chambre basse du Parlement, eut voté une résolution dénonçant une violation de la convention de Vienne sur l'immunité diplomatique.