Le retour des contrôles aux frontières dans plusieurs pays d'Europe du fait de la crise des migrants donne des sueurs froides aux transporteurs, qui anticipent retards et hausses de coûts dans un contexte déjà tendu.
"Nous constatons des retards pour tous nos camions, et c'est la même chose pour tous les acteurs du secteur", explique à l'AFP Cora Bügenburg, directrice des opérations chez Allgeier Translog, transporteur allemand dont les camions sillonnent toute l'Europe.
"En ce moment, il y a des bouchons partout", constate-t-elle.
La faute aux contrôles instaurés depuis près d'une semaine. L'Allemagne a donné le coup d'envoi sur sa frontière avec l'Autriche, pour mieux canaliser le flot de migrants arrivant chez elle. Dans la foulée, l'Autriche et la Slovaquie ont également mis en place des contrôles et depuis l'Allemagne a renforcé ceux aux frontières avec la France et la République Tchèque.
Dès lundi matin, des embouteillages monstres se sont formés en Allemagne et en Autriche.
Si les camions prennent du retard, ils ne sont pas déchargés à temps, et sont moins vite disponibles pour prendre un nouveau chargement. Rapidement, on risquera "la pénurie de capacités", anticipe Mme Bügenburg, "et ça, ça fait grimper les prix".
- capacités "justes" -
Et cela à un moment où, en Europe, "les capacités de transport sont déjà justes", du fait de la vigueur retrouvée du commerce sur le continent, explique Sebastian Lechner, directeur général de la fédération bavaroise des transporteurs.
Ni l'ampleur ni la durée de ces entorses au principe de libre-circulation dans l'espace Schengen ne sont prévisibles, d'autant que les migrants tentent maintenant de se frayer un chemin par d'autres pays, la Croatie et la Slovénie.
La circulation en Europe d'un pays à l'autre sans formalités est la pierre angulaire du modèle économique des transporteurs européens.
Si les contrôles devaient être établis à toutes les frontières de l'espace Schengen, le manque à gagner pour les sociétés néerlandaises de transport routier par exemple serait de 600 millions d'euros par an, sur la base d’un retard d’une heure par passage de frontière, explique Renee Reijers, porte-parole de la Fédération néerlandaise des sociétés de Transport et Logistique (TLN).
"De manière plus large, le retour des contrôles aux frontières signifie un coup dur pour la position concurrentielle de l’Europe", argumente la fédération, "aux Etats-Unis ou en Chine, les sociétés de transport peuvent parcourir de longues distances sans contrôles, et donc sans pertes de temps ou coûts supplémentaires". Et le coût final des produits industriels s'en ressent avantageusement.
Dans l'UE, les trois-quarts environ du trafic de marchandises s'effectuent par la route, le rail arrivant bien loin derrière.
La Bavière, région du sud de l'Allemagne la plus touchée par les contrôles jusqu'alors, est "à la croisée de nombreux axes de transport européens", rappelle M. Lechner. Tout le trafic qui vient d'Italie, gros partenaire commercial de l'Allemagne, transite par l'Autriche et la Bavière, précise-t-il.
- embouteillages = travail -
Toutefois pour Doriano Bendotti, secrétaire de la section de Bergame (nord) de la Fédération des transporteurs routiers italiens (FAI), si "des ralentissements supplémentaires" ont été constatés sur la région Allemagne-Hongrie-République Tchèque ces derniers jours, "on n'en est pas à une situation d'urgence".
La fédération allemande de la logistique DSLV fait valoir que les embouteillages font partie du quotidien des entrepreneurs de transport, et qu'en outre ils "peuvent dans une certaine mesure compenser", en planifiant des temps de trajet plus longs.
"Mais des parcours alternatifs plus longs signifient des coûts supplémentaires", fait valoir Mme Bügenburg.
De la même façon, "quand un conducteur de camion est coincé dans les embouteillages, c'est du temps de travail payé", et les coûts s'en ressentent automatiquement, précise la DSLV. "Si les contrôles aux frontières durent des semaines, voire plus longtemps, les acteurs du secteur devront discuter avec leurs clients, pour discuter d'ajustements des prix", poursuit la fédération.
Déjà, les coûts vers le Royaume-Uni se sont renchéris, indique M. Bendotti, sur fond de procédures de sécurité renforcées à Calais en France, d'où des cohortes de migrants essaient quotidiennement de passer en Angleterre.