par Francesco Canepa et Balazs Koranyi
SINTRA, Portugal (Reuters) - Les dirigeants de la Banque centrale européenne (BCE) se sont montrés divisés mardi après le discours du président de l'institution, Mario Draghi, suggérant de nouvelles mesures de soutien qui n'ont pas encore été débattues par le Conseil des gouverneurs.
Lors d'une conférence organisée par la BCE à Sintra, au Portugal, Mario Draghi a déclaré que la banque centrale assouplirait de nouveau sa politique si l'inflation ne remontait pas, en précisant que l'hypothèse de nouveaux achats d'obligations, celle d'une baisse de taux et celle d'une modification du discours sur l'orientation future de la politique monétaire avaient toutes été "soulevées et débattues" lors de la réunion du Conseil des gouverneurs au début du mois.
Son discours a fait baisser l'euro et les rendements des emprunts d'Etat de la région.
Mais des conversations avec six personnes présentes à Sintra montrent que certains membres du Conseil ne s'attendaient pas à un message aussi offensif et qu'il n'y a pas encore de consensus sur les prochaines étapes.
Les sources, directement informées de l'évolution des discussions, ont dit que la possibilité d'une baisse de taux et celle de nouveaux achats d'actifs n'avaient été mentionnées que le mois dernier et n'avaient pas fait l'objet d'un débat en profondeur, la priorité allant aux nouveaux prêts à taux bas au banques de la zone euro, les TLTRO.
Si les déclarations de Draghi à l'issue de la réunion du 6 juin n'ont guère impressionné les marchés, l'escalade dans le conflit commercial entre les Etats-Unis et la Chine et une série de mauvais indicateurs économiques ont depuis suggéré que certains risques étaient en train de se matérialiser, ce qui a conduit Mario Draghi à muscler son discours, a expliqué l'une des sources.
UNE IMPRESSION DE "FAIT ACCOMPLI"
Plusieurs personnes ont déclaré que des responsables de la BCE étaient préoccupés par le fait que Mario Draghi présente l'éventualité de nouvelles mesures de soutien comme un "fait accompli" et laisse peu de place à d'éventuels désaccords lors de la prochaine réunion de politique monétaire, le 25 juillet.
Mais elles ont ajouté que la guerre commerciale et les inquiétudes suscitées par les finances publiques italiennes laissaient peu de place aux divergences.
Plusieurs ont aussi expliqué que le Conseil ne disposerait que de peu d'informations nouvelles d'ici à sa prochaine réunion et qu'il serait donc difficile de justifier des conclusions différentes de celles annoncées le 6 juin.
Cependant, elles ont dit que le débat restait ouvert sur la nature le calendrier et l'enchaînement des mesures à mettre en oeuvre.
Un porte-parole de la BCE s'est refusé à tout commentaire.
Certains responsables privilégient la piste d'une relance des achats d'obligations sur les marchés, un programme d'assouplissement quantitatif (QE) que la BCE a arrêté en décembre après y avoir consacré environ 2.600 milliards d'euros depuis 2014.
D'autres préfèreraient voir la BCE se contenter de réaffirmer avec force son engagement à ne pas relever les taux d'intérêt avant longtemps et certains penchent en faveur de baisses de taux, ont dit les sources.
DES OBSTACLES À UNE REPRISE DU QE
Plusieurs responsables estiment que la BCE pourrait, dans un premier temps, renoncer à évoquer une échéance pour une remontée des taux pour s'en tenir à la promesse de maintenir les taux à leur niveau actuel, voire à un niveau inférieur, tant que des critères économiques précisément définis n'auront pas été remplis, parmi lesquels un certain niveau d'inflation, ont précisé deux sources.
Cela permettrait à la BCE de maintenir sa position pendant une période prolongée sans avoir à repousser régulièrement l'horizon de la remontée des taux.
D'autres privilégient la piste de la reprise des achats de dette souveraine en soulignant qu'elle ferait baisser les taux d'emprunt des Etats et créerait donc indirectement des marges de manoeuvre budgétaires pour soutenir l'économie.
Mais cette solution pose plusieurs problèmes: la BCE détient déjà près d'un tiers de la dette publique de pays comme l'Allemagne et le Portugal, un seuil qu'elle a promis de ne pas franchir afin de ne pas détenir une minorité de blocage dans l'hypothèse d'une restructuration de dette.
Selon certaines sources, la "flexibilité" évoquée dans son discours de mardi par Mario Draghi pourrait conduire la BCE à renoncer à ce plafond ou à le contourner en cas de besoin.
Plusieurs sources ont laissé entendre qu'elles seraient favorables à une baisse de taux même si une telle mesure nécessiterait de compenser les effets indésirables des taux négatifs sur le secteur bancaire.
Or une telle compensation, sans doute via une modulation du taux des dépôts, se heurte à l'opposition de plusieurs membres du Conseil des gouverneurs en raison de sa complexité.
Une minorité estime enfin que la BCE devrait s'abstenir d'agir tant que les indicateurs économiques ne se dégradent pas de manière importante et que les anticipations d'inflation ne s'éloignent pas davantage de l'objectif qu'elle s'est fixé.
(Marc Angrand pour le service français)