Confronté à l'expansion de l'économie parallèle qui le prive de revenus fiscaux, le gouvernement algérien est à la peine pour juguler ce phénomène à l'origine de la récente flambée des prix et de ses violentes conséquences, soulignent les économistes.
Et pour éviter d'envenimer les tensions avec ce secteur-clef, il a dû surseoir à imposer aux grossistes l'usage des chèques pour les paiements importants, seule garantie de transparence dans les transactions commerciales.
Le commerce informel --évalué entre trois et six milliards d'euros-- "prospère de manière dangereuse", juge l'économiste Salah Mouhoubi, interrogé mercredi par l'AFP.
"C'est la source de toutes les spéculations qui poussent aux émeutes", ajoute-t-il, alors que l'Algérie vient de connaître cinq jours de violences meutrières.
Les analystes ont dénoncé comme origine des violences l'augmentation des prix des denrées de base décidées par les grossistes, anticipant la croissance des sommes qu'ils devraient verser aux impôts après la mise en oeuvre, prévue alors pour mars, de l'obligation de l'usage des chèques.
Trois jours après le début, le 5 janvier, des troubles qui ont fait cinq morts et 800 blessés, le gouvernement a décidé de suspendre cette mesure.
Pour le site spécialisé Maghreb Emergent, le gouvernement du Premier ministre Ahmed Ouyahia a opéré "un repli en rase campagne".
"L'Etat a cédé à la pression quasi-mafieuse des détenteurs des voies marchandes informelles", renchérit l'universitaire Belkacen Boukherouf cité par le quotidien El Watan.
Pour lui, "en prenant la voie de la facilité pour ramener rapidement le calme (...) le gouvernement (...) a pris une mesure dangereuse qui légalise l'informel".
Les autorités algériennes, dont les revenus dépendent principalement des exportations d'hydrocarbures et de gaz, se sont défendues d'avoir cédé à la pression des événements, et affirment vouloir agir progressivement.
Le ministre de l'Intérieur, Dahou Ould Kablia, a reconnu dans un entretien avec l'AFP que la responsabilité des troubles revient à "ceux qui sont touchés dans leurs intérêts dans ces histoires de commerce, de libéralisation, de resserrage des verrous" par les autorités.
Mais il a aussi estimé que l'utilisation du chèque "ne peut pas encore être imposée" en raison d'un secteur financier peu adapté.
Et il a ajouté que "la bataille de l’informel doit faire l’objet d’une stratégie du moyen et du long terme" parce que "l’informel peut constituer une forme de croissance et participer à la création d’emplois".
De fait, une enquête récente du Forum des chefs d'entreprises (FCE), la principale organisation patronale algérienne, établit que "le secteur informel constitue une partie importante de l’économie".
Cette enquête montre qu'en 2007 l’emploi informel représentait 32% des 8,25 millions de personnes employées en Algérie, une proportion qui passe à plus de la moitié dans le secteur du commerce : 592.000 personnes sur 1.140.000.
Les revenus du secteur informel "totaliseraient 17% de l’ensemble des revenus primaires nets des ménages" et se situeraient entre trois et six milliards d'euros, estime encore le FCE. Les domaines les plus concernés sont ceux du bâtiment, le commerce, les transports et l'artisanat.
Mais pour l'Etat et la sécurité sociale, le développement de cette économie parallèle est un lourd handicap: outre les pertes en revenus fiscaux évaluées à près de deux milliards d'euros, elle crée une concurrence "déloyale" avec les opérateurs officiels, et décourage les investisseurs étrangers.
L'enquête du FCE assure également que ces pratiques favorisent la corruption et créent chez le "bon contribuable" un risque de défiance vis-à-vis de l'administation fiscale.