De quoi se réjouir, mais pas trop: les exportations de vins et spiritueux français ont atteint en 2015 le seuil "historique" de 11,7 milliards d'euros mais leur place ne cesse de reculer face à des concurrents plus agressifs et moins chers.
"Ce beau résultat ne doit pas masquer la dégradation constante de nos parts de marché", résume Christophe Navarre, président de la Fédération des exportateurs (FEVS), qui présentait mercredi les performances 2015.
Le résultat, en hausse de 8,7% tout de même - et équivalent à la vente de 126 Airbus (PA:AIR) - permet au secteur de retrouver sa place de deuxième poste à l'exportation derrière l'aéronautique, perdue l'an passé. Il s'appuie principalement sur le champagne (+12% à 2,7 milliards) et le cognac (+20%) qui totalisent à eux seuls les deux tiers de la croissance des expéditions en valeur, et sur un taux de change favorable avec la baisse de l'euro (-16% en moyenne sur l'année par rapport au dollar).
Le marché américain (+28%) redevenu le premier consommateur au monde et la première destination des flacons français en valeur (1,3 milliard d'euros, 5e en volume) a soutenu ce dynamisme, avec le retour aux affaires de la Chine (+23%) après deux années difficiles.
La lutte anti-ostentation a bridé les achats de cognac et de vins de Bordeaux mais cette cure d'austérité fut finalement salutaire en permettant un déstockage.
"Le marché chinois se normalise - les Chinois parlent de +New normal+: on sort des produits exceptionnels pour entrer dans un marché de consommateurs", comprendre moins spéculatif, remarque Philippe Casteja, propriétaire-négociant à Saint-Emilion s'exprimant pour les Bordeaux.
Le champagne, le cognac, le Bordeaux et le Bourgogne réalisent à eux quatre 67% des exportations mais seulement 28% des volumes. Or la faiblesse endémique de la production française inquiète les professionnels: pour la troisième année consécutive, les volumes de vins expédiés (138 millions de caisses, -3,6%) sont en recul. Sur trois ans, c'est moins 16 millions de caisses (1,4 million d'hectolitres) ou l'équivalent de 25% des exportations de Bordeaux insiste M. Navarre. Double peine: la hausse des prix qui en résulte pénalise la compétitivité des vins français.
- "On a beaucoup augmenté, mais moins que les autres "-
C'est ainsi par exemple que la France a perdu sa première place au Japon au détriment du Chili, faute de présenter des vins à petits prix (sous les 500 yens).
La place des vins (hors champagne) ne cesse de rétrécir: depuis 2000 la valeur des ventes à l'étranger est passée de 12 à 26 milliards d'euros, mais leurs parts de marché ont fondu de 45 à 30%, insiste M. Navarre. "On augmente nos ventes, mais moins que nos concurrents", pointe-t-il en réclamant "plus de vins et davantage d'entrée de gamme pour résister à l'Espagne, au Chili ou à l'Australie".
Un créneau que remplissent par exemple les vins du pays d'Oc (19% des volumes expédiés), en hausse de près de 7%. Les cépages (Chardonnay etc..) en particulier progressent sur les marchés émergents. Mais la région a traversé deux années douloureuses (2013 et 2014) de petite production. "On a perdu 17% de parts de marché en Chine à cause de vins qu'on n'a pas pu fournir", assure Antoine Leccia, président de la maison de négoce AdVini. "Ce sont surtout sur les vins sans IG - indication géographique - qu'on perd du terrain par rapport aux Italiens ou Espagnols". Cette seule production a baissé de 18% en 2015, "or c'est sur ces vins qu'on vend la marque France".
Les vins français ne sont pas compétitifs face aux Espagnols ou aux concurrents du Nouveau Monde, affirme-t-il en demandant s'il ne faudrait pas "passer de petites productions de qualité à 50 hl/hectare qu'on vend cher, à des productions de 150 hl/ha qu'on exporte". La mutation réclame une modification des pratiques viticoles, reconnaît-il. "Les opérateurs étrangers travaillent sur le sujet", prévient-il.
Mais ce n'est pas la réforme européenne des droits de plantation, qui a libéré potentiellement 8.000 ha suppplémentaires au 1er janvier, qui permettra de relever le défi dans l'immédiat, prévient Nicolas Ozanam, délégué général de la Fédération.