En cédant sa filiale de téléphonie mobile T-Mobile USA à AT&T pour 39 milliards de dollars, le géant allemand Deutsche Telekom a enterré un rêve américain ayant depuis longtemps tourné au cauchemar stratégique.
24 juillet 2000: le patron de Deutsche Telekom Ron Sommer, qui cherche frénétiquement à faire de l'ancien monopole public un géant international, annonce le rachat de l'opérateur américain de téléphonie mobile VoiceStream pour quelque 40 milliards d'euros.
Près de dix ans plus tard, alors que l'action de Deutsche Telekom a vu sa valeur divisée par dix, l'actuel patron René Obermann tourne la page en annonçant la cession au géant américain AT&T de ce qui s'appelle désormais T-Mobile USA.
Deutsche Telekom va encaisser 25 milliards de dollars en numéraire, et le reste en actions d'AT&T, dont il devient actionnaire à 8%.
Le groupe allemand, amputé d'un quart de son chiffre d'affaires après cette transaction, entend consacrer près de 13 milliards d'euros de la somme obtenue à son désendettement, et 5 milliards d'euros à un programme de rachat d'actions, de quoi enchanter la Bourse.
Vers 09h45 GMT, l'action du groupe allemand bondissait de 12,10% à 10,75 euros, menant l'indice vedette Dax à la Bourse de Francfort.
Même si la presse allemande titrait lundi sans indulgence sur "la capitulation" (Frankfurter Allgemeine Zeitung) ou "la fuite" de Deutsche Telekom (Financial Times Deutschland), la transaction était généralement considérée par les analystes comme une réussite de M. Obermann, qui tire un trait sur les excès hérités de la bulle internet.
"C'est le meilleur scénario possible", juge Heike Pauls, analyste de Commerzbank, qui dit "avoir toujours été en faveur d'une solution radicale" pour T-Mobile USA.
Tarkan Cinar de WestLB, qualifie, lui, le prix obtenu "d'excellent" et s'attend désormais à ce que Deutsche Telekom "se concentre sur l'Europe de l'Est". Seule inconnue selon lui: le feu vert des autorités américaines de la concurrence.
Le directeur financier de Deutsche Telekom, Tim Höttges, a indiqué lundi attendre une finalisation de la transaction au premier semestre 2012.
Au fil des ans, le rachat de VoiceStream s'est avéré une erreur stratégique coûteuse pour Deutsche Telekom.
Depuis 2009, la filiale voit ses bénéfices reculer et perd des centaines de milliers de clients chaque trimestre.
Numéro quatre d'un marché américain extrêmement disputé, T-Mobile USA n'a jamais atteint l'envergure suffisante. Il a en particulier beaucoup souffert de l'exclusivité longtemps accordée à AT&T sur le très populaire iPhone d'Apple.
Pour tous les analystes, la filiale n'avait une chance de survivre qu'au prix de très lourds investissements de sa maison-mère, sans garantie de succès.
L'échec de Deutsche Telekom vient s'ajouter à une liste déjà longue d'entreprises allemandes forcées d'enterrer leurs ambitions américaines.
Le constructeur Daimler en est l'exemple le plus spectaculaire, avec son rachat raté de Chrysler.
Mais d'autres groupes ont aussi connu des déconvenues aux Etats-Unis: les énergétiques EON et RWE y ont ainsi abandonné récemment leurs activités dans le gaz, l'électricité ou l'eau, tandis que Deutsche Post a dû déserter le marché intérieur américain.