Dans une autre vie, Dina l'?tudiante encha?nait les entretiens d'embauche, Gerassimos le commer?ant attendait sereinement la retraite et Maria la m?re de famille ne s'imaginait pas en passionaria de la cause des salari?s. C'?tait il y a deux ans en Gr?ce. Puis la crise est arriv?e.
Le 2 mai 2010, le gouvernement de l'ancien Premier ministre socialiste Georges Papandreou annon?ait, face au spectre de la faillite du pays, une longue liste d'efforts et de r?formes en ?change d'un premier pr?t de 110 milliards d'euros venu de la "tro?ka" (FMI, BCE, UE).
Ce premier "m?morandum" a ?t? suivi d'un second, en f?vrier dernier, lorsque le premier plan s'est av?r? insuffisant face ? l'ampleur de la crise, qui secoue l'euro sur ses fondations.
Ces deux ann?es ont chang? la vie des Grecs, jeunes et vieux, un peu ou beaucoup, mat?riellement et moralement.
Dans son nouvel appartement du centre d'Ath?nes, Dina Karamani devrait jubiler: un premier chez-soi, ? 28 ans, apr?s des chambrettes ?tudiantes et un retour chez ses parents, au Pir?e.
Mais la jeune femme a la peur au ventre: "Avant la crise, cet appartement aurait ?t? un grand pas mais l? je vis dans l'angoisse de devoir le quitter".
Elle a longtemps cherch? avant de trouver un deux pi?ces entrant dans son budget, moins de 250 euros, et s'est assur?e qu'il soit suffisamment grand pour prendre un colocataire, si besoin.
Dina a pu mettre un peu d'argent de c?t? depuis qu'elle a d?croch? cet ?t? des traductions ? domicile qui lui rapportent environ 500 euros par mois. L? encore, un chemin de croix.
"J'ai cherch? pendant des mois, je ne trouvais aucun travail. Je n'ai m?me pas d?croch? d'entretien alors qu'en 2006, j'avais travaill? durant un an et j'avais eu beaucoup de r?ponses ? mes candidatures".
En attendant de terminer un m?moire de recherche en histoire m?di?vale, ses traductions lui permettent de payer ses d?penses quotidiennes mais sans couverture sociale.
L'?mission qu'elle anime sur une radio amateur pour "donner un autre regard sur l'actualit? grecque" est une de ses rares soupapes.
Maria Chira a trouv? une autre forme d'?chappatoire: cette ronde et p?tulante quadrag?naire a d?cid? de se pr?senter aux ?lections du personnel de son entreprise, Hellenic Petroleum, leader national dans son secteur.
Les ?lections auront lieu mi-mai et cette m?re de deux enfants semble ne pas en revenir de son audace: "Jamais je n'avais envisag? de prendre ce genre de responsabilit?s et j'ai r?fl?chi pendant des mois. Mais je consid?re que c'est mon devoir maintenant que les droits des salari?s sont attaqu?s".
Son premier d?fi consistera ? discuter pied ? pied les nouvelles conventions collectives de sa soci?t? alors que les ren?gociations d?j? conclues dans d'autres entreprises ont abouti ? des baisses de salaires en rafale.
Dans son appartement coquet, tout de napperons et bois vernis, d'une banlieue r?sidentielle d'Ath?nes, Maria Chira se consid?re comme chanceuse: ni son salaire de 1.200 euros, ni les primes qui l'accompagnent n'ont ?t? touch?s.
Mais elle n'a pas ? regarder loin pour voir les effets de la r?cession: son mari ? la t?te d'une micro-soci?t? de produits de coiffure a vu fondre ses revenus de 30 ? 40%. Sa m?re a perdu 7.000 euros de retraite par an depuis 2010. Toute la famille a d'ailleurs emm?nag? au m?me domicile pour ?conomiser un loyer, "par pr?caution".
De retraite, Gerassimos Kavvadias n'ose plus en r?ver. A presque 70 ans, cet ?picier distingu? n'a m?me jamais travaill? autant: "D?sormais le magasin est ouvert de 08H00 ? 22H00, et c'est juste pour payer mes factures, tellement elles ont augment?".
Son ?picerie est pourtant situ?e dans un quartier ais? de la capitale mais "l? o? les clients d?pensaient dix euros, ils s'arr?tent ? deux et se contentent du strict minimum".
Le souvenir des derni?res f?tes de P?ques, aussi importantes que No?l pour les Grecs, lui fait monter les larmes aux yeux: pour la premi?re fois, il n'a rien pu offrir ? ses petits enfants.
Lorsque les sentiments d?bordent, il ?crit et dessine. Ses oeuvres crayonn?es durant les heures creuses du magasin ornent les murs. Ses derniers vers parlent de "la gauche, la droite, les mensonges, les r?ves, les espoirs, les luttes, autant d'erreurs".