PARIS (Reuters) - L'abandon de l'écotaxe constitue un "échec" et un "gâchis" dont le manque à gagner de près de dix milliards d'euros sur dix ans a été imparfaitement compensé et qui a coûté près d'un milliard d'euros à l'Etat en indemnisations, estime la Cour des comptes en critiquant sévèrement la gestion de ce dossier.
Dans son rapport annuel publié mercredi, la Cour des comptes évoque un renoncement "coûteux pour les finances publiques et dommageable pour la cohérence de la politique des transports et son financement", qui constitue "un gâchis patrimonial, social et industriel".
Ce dispositif avait été voté en 2009 dans le sillage du Grenelle de l'environnement, lors du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Reporté à plusieurs reprises, il a été suspendu en octobre 2013 face à la fronde notamment des "Bonnets rouges" bretons et le projet alternatif de "péage transit poids lourds" a finalement été abandonné un an plus tard. Son principe a été définitivement supprimé en novembre dernier lors du vote du budget 2017 à l'Assemblée.
Sur le plan financier, cet abandon a représenté une perte de recettes de près de dix milliards d'euros sur la durée du contrat de partenariat entre l'Etat et Ecomouv' (2014-2024), qui a été compensée par le relèvement de la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques (TICPE) sur le gazole, avec un rendement de 1,1 milliard d'euros par an.
Si globalement la perte des recettes de l'écotaxe a été surcompensée, la répartition apparaît très inégale entre les différents acteurs concernés. Sur la période 2015-2024, l'Etat devrait ainsi percevoir un excédent de recette de 3,35 milliards d'euros, tandis que les collectivités territoriales seront déficitaires de 1,6 milliard d'euros, selon la Cour.
LES AUTOMOBILISTES PÉNALISÉS
Autre problème: alors que l'écotaxe visait entre autres à faire contribuer les poids lourds étrangers à l'entretien du réseau routier, ils échappent majoritairement au relèvement des taxes sur le gazole, puisque que la majorité d'entre eux se ravitaillent dans les pays frontaliers, note la Cour.
Le coût de l'abandon de l'écotaxe est donc principalement supporté par les poids lourds sous pavillon français (à hauteur de 41%) et les autres usagers, dont les particuliers (57%).
Cette décision a également entraîné des dépenses importantes pour l'Etat et les administrations: aux près de 958 millions d'euros d'indemnisation versés au prestataire Ecomouv' s'ajoutent par exemple "des coûts de défaisance non encore stabilisés" et de potentiels risques contentieux (270 millions).
"Le projet laisse par ailleurs à la charge de l’Etat plusieurs centaines de milliers d’équipements inutiles, dont les perspectives de réutilisation sont quasi-nulles", a souligné le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, lors d'une conférence de presse mercredi matin.
Les magistrats ne sont pas plus flatteurs sur la gestion politique du dossier, déplorant une mauvaise anticipation des contestations qui ont entraîné l'abandon du projet.
Le "défaut d'explication et de pédagogie qui aurait pourtant été nécessaire pour un dispositif aussi nouveau" a largement contribué à ce que l'écotaxe, qui avait fait l'objet d'une certaine unanimité au moment de sa création, devienne à partir du printemps 2013 un "bouc émissaire" cristallisant des contestations locales et sectorielles.
La réponse à cette fronde n'a pas été plus judicieuse selon la Cour, qui pointe "la précipitation" des décisions de suspension de l'automne 2013 et d'octobre 2014. Elle souligne également que les positions divergentes de Matignon et du ministère de l'Ecologie ont compliqué la gestion du dossier et les négociations avec Ecomouv'.
OCCASION MANQUÉE
"La Cour des comptes dit des choses justes et par rapport à cela le gouvernement a fait au mieux, c'est-à-dire a supprimé un système très coûteux pour le remplacer par un prélèvement tout simple sur la consommation de carburant", a déclaré la ministre de l'Ecologie Ségolène Royal à la presse à la sortie du conseil des ministre mercredi matin.
Selon elle, les gouvernements de François Hollande ont dû gérer un système "très bancal", qui avait été "mis en place entre les deux tours de l'élection présidentielle en 2012 par le gouvernement de François Fillon, de façon précipitée".
Elle a par ailleurs évoqué un "système pervers" et un "contrat exorbitant" qui prévoyait que le consortium Ecomouv' perçoive 220 millions d'euros par an indépendamment du rendement. Selon elle, il s'agissait d'un "détournement au profit d'une entreprise privée qui en plus n'avait pas fait ses preuves en termes de fonctionnement".
Globalement, la Cour estime que l'abandon de l'écotaxe poids lourds représente "une occasion manquée" et "laisse sans réponse les constats économiques et les objectifs qui avaient présidé à sa conception" dont le transfert du financement des charges d'infrastructures du contribuable vers l'usager ou la réduction de l'écart du coût entre le transport routier et les autres modes pour inciter au report vers le fret ferroviaire.
Avec cette décision, la France va également prendre du retard dans la mise en oeuvre de la politique européenne de la tarification routière, déplore la Cour.
(Myriam Rivet, édité par Yves Clarisse)