Expulsées il y a 76 ans, les compagnies pétrolières étrangères ont toujours souhaité revenir au Mexique, mais maintenant qu'une loi sur l'énergie le leur permet, elle attendent avec prudence de connaître les termes précis des contrats avant de commencer à opérer.
"L'appétit" de ces entreprises "est très grand", affirme Emilio Lozoya, directeur général de Pemex, la compagnie publique détenant le monopole de la production de pétrole et de gaz dans le pays depuis 1938, sous la présidence de Lazaro Cardenas.
Le Parlement a adopté mercredi soir une ambitieuse loi sur l'énergie voulue par le président Enrique Peña Nieto, élu fin 2012, qui ouvre aux compagnies privées le secteur des hydrocarbures dans la deuxième économie d'Amérique latine.
Selon M. Lozoya, une fois le texte promulgué par le président, il ne manquera plus que "cet appétit, cet intérêt, cet investissement, se traduisent en infrastructures et en emplois".
Mais pour les analystes consultés par l'AFP, il faudra encore du temps pour voir arriver des investisseurs, alors que la production de brut ne cesse de chuter, faute de financement suffisant, passant de 3,4 millions de barils par jour en 2004 à moins de 2,5 millions actuellement.
- Incertitudes légales -
Et Pemex, qui représente plus du tiers des revenus budgétaires du Mexique, a annoncé fin juillet une perte de 4 mds USD au 2e trimestre, supérieure à celle enregistrée sur la même période de 2013 (3,7 mds USD).
"Il est évident que les grandes entreprises internationales veulent venir, mais elles attendent, elle veulent en savoir plus", affirme David Shields, auteur notamment de l'ouvrage "Pemex, la reforma petrolera" (2006).
Les investisseurs étrangers attendent de voir "le premier contrat d'exploration avec la possibilité de produire du pétrole", pour se faire une idée des impôts qu'ils auront à payer et mesurer les risques et les bénéfices, poursuit-il.
"Avant d'investir des millions de dollars, les (entreprises) veulent être sûres de saisir tous les aspects légaux", confirme à l'AFP Pete Garcia, directeur exécutif de la Chambre de commerce américano-mexicaine de Houston (sud), considérée comme la capitale du pétrole des Etats-Unis.
"Il y a beaucoup d'avocats qui ont beaucoup de travail en ce moment", résume M. Garcia, précisant que des géants comme Exxon Mobil (NYSE:XOM) ou BP (LONDON:BP) participent à des groupes de travail autour de projets au Mexique, de même que la banque espagnole Santander (MADRID:SAN).
Raymundo Tenorio, chercheur à l'Université privée Tec de Monterrey, souligne qu'un autre élément pouvant doucher les ardeurs des investisseurs concerne "une charge fiscale brutale, qui doit décroître peu à peu", prévue par la nouvelle loi.
Une autre préoccupation provient de l'insécurité régnant dans la zone pétrolière de Burgos (nord), une région touchée par les violences liées aux trafics de drogues, ajoute M. Garcia.
- "Manger tout cru" -
Enfin, la corruption endémique au Mexique: "Le gouvernement va devoir démontrer qu'il peut être transparent, qu'il peut faire place nette", souligne David Shields.
Plusieurs entreprises familiarisent leurs employés avec les lois américaines sur la corruption étrangère, car "personne ne veut aller en prison en essayant de gagner un marché mais ne le faisant pas de la bonne façon", résume Pete Garcia.
Le gouvernement et les partis ayant soutenu cette réforme - le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, au pouvoir) et le Parti action nationale (PAN, conservateur) - affirment que les nouvelles autorités régulatrices du secteur seront "des arbitres très solides" qui ne cèderont pas "aux intérêts des plus riches".
La gauche s'inquiète elle de voir brader ou tomber dans des mains étrangères la principale ressource du Mexique et a initié une consultation populaire pour tenter de revenir sur cette loi, dans un pays où près de la moitié des 118 millions d'habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
L'Exécutif espère au contraire maximiser les ressources du pays, et notamment exploiter le pétrole en eaux profondes dans le Golfe du Mexique.
Lors d'une récente visite au Mexique, le gouverneur de la Californie, Jerry Brown, a recommandé au pays d'avoir "la main ferme" avec les entreprises étrangères. Sans quoi "elles vous mangeront tout cru", a-t-il averti.