Savait-il? A-t-il tout fait pour savoir? Entre le 4 décembre, jour des premières révélations, et l'aveu du 2 avril, le ministre de l'Economie Pierre Moscovici a entrepris des démarches pour établir si Jérôme Cahuzac avait vraiment fraudé mais des zones d'ombre demeurent.
Tout commence le 4 décembre. Mediapart révèle que celui qui est alors ministre délégué au Budget a eu un compte caché à la banque UBS en Suisse, transféré en 2010 à Singapour. Jérôme Cahuzac nie immédiatement.
Bercy s'active. Selon son propre récit à l'AFP, le directeur général de finances publiques Bruno Bézard propose le 7 décembre de dresser une "Muraille de Chine": en jargon administratif, il s'agit de s'assurer que Jérôme Cahuzac ne soit informé sur aucun dossier le concernant.
Pierre Moscovici reprend alors "personnellement la main" le 10 décembre. Mi-décembre, il ordonne à l'administration fiscale d'Île-de-France de demander au ministre délégué s'il a eu un compte en Suisse. L'intéressé dispose de 30 jours pour répondre.
Or, Jérôme Cahuzac reste muet pendant la totalité du délai. Alors qu'il a démenti urbi et orbi, il omet de nier auprès du fisc, s'étonnent les présidents des commissions des Finances du Parlement.
Le député Gilles Carrez et le sénateur Philippe Marini, tous deux membres de l'UMP, se disent dès lors "fondés à penser que Jérôme Cahuzac a gagné du temps et que les autorités politiques dont il dépendait, Pierre Moscovici, mais peut-être plus haut encore, ne l'ont pas suffisamment incité à laisser partir le plus vite possible la demande d'informations à la Suisse". Celle-ci ne sera formulée que le 24 janvier.
Officiellement donc, rien d'autre ne se passe. Cette version est contredite par Valeurs actuelles, qui accuse le ministre de l'Economie et le patron du fisc d'avoir lancé le 7 décembre une "vérification en terre helvétique", voire d'avoir envoyé une "mission secrète en Suisse". Selon l'hebdomadaire de droite, cette équipe obtient du fisc suisse, "avant le 31 décembre", une "réponse" accablante: Jérôme Cahuzac a bien eu un compte à l'UBS.
Info ou intox? Pierre Moscovici dément tout. Hormis cet article non sourcé, rien ne confirme cette thèse. "Si c'était vrai, la rumeur aurait circulé", dit à l'AFP une source administrative qui n'a pas eu connaissance d'une telle enquête. Philippe Marini et Gilles Carrez ont reconnu ne pas croire à la version d'une enquête en territoire suisse, mais se sont dits "pas convaincus" par l'ensemble de l'argumentaire de Bercy.
Egalement mis en cause, Bruno Bézard a publié un communiqué pesé au trébuchet: "L'administration fiscale n'a diligenté ni +mission secrète en Suisse+ ni +vérification en terre helvétique+" et "aucune réponse n'est parvenue ni formellement, ni informellement, ni par écrit, ni par oral, de la part des autorités helvétiques avant la date du 31 janvier 2013, à la question qui a été posée le 24 janvier".
Cette formulation n'exclut pas des contacts à distance ni une éventuelle réponse à une autre question que celle du 24 janvier.
De fait, des contacts informels ont pu avoir lieu dès décembre. Bruno Bézard affirme à l'AFP que ses services ont commencé à travailler à la demande d'entraide administrative "autour de Noël". Pendant ce mois de préparation, "il est normal qu'il y ait eu des échanges entre Paris et Berne", glisse une source administrative de Bercy.
Selon Gilles Carrez, M. Bézard dit avoir eu comme "seul contact" un appel à son homologue suisse le 23 janvier pour l'avertir de la demande. Mais, ajoute Philippe Marini, "il serait assez invraisemblable qu'il n'y ait pas eu de contact préalable" à un niveau inférieur, "des consultations", "des coups de téléphone".
La rapidité avec laquelle la Suisse répond, le 31 janvier, à la demande reçue une semaine plus tôt semble attester d'un échange préparé en amont. Toujours est-il que la réponse officielle est négative: pas de compte à l'UBS.
Pierre Moscovici assure avoir posé la question la plus large possible au vu de la convention franco-suisse. MM. Marini et Carrez, ainsi que plusieurs experts, estiment qu'il aurait pu étendre sa demande à toutes les banques suisses. Mais surtout, Bercy ne demande rien à Singapour, alors que la France est liée à cet Etat asiatique depuis 2011 par un traité fiscal.
Le 7 février, "Mosco" laisse entendre que la réponse suisse conforte son ministre délégué. Et le Journal du dimanche titre, le 10 février, en citant l'entourage de Pierre Moscovici: "Les Suisses blanchissent Cahuzac".
Le patron de Bercy est aujourd'hui accusé par l'opposition d'avoir mal géré ce dossier, par maladresse ou, pire, pour innocenter Jérôme Cahuzac. Lui rejette la responsabilité des fuites sur les communicants du "menteur" et rappelle avoir transmis à la justice la réponse suisse mais aussi "l'intégralité du dossier fiscal de Jérôme Cahuzac sur vingt ans".
Le 19 mars, quand le chirurgien-fiscaliste quitte le gouvernement, son ministre de tutelle salue son "travail remarquable". Il dit n'avoir appris la vérité que le 2 avril, en même temps que la France entière.