Les signes de reprise, parfois concrétisés par de bons résultats financiers, et la réforme des retraites aiguisent les attentes des personnels sur les salaires, alors que les entreprises n'entendent pas globalement rompre avec la modération salariale observée depuis 2009.
"Nous sommes dans une situation exceptionnelle, avec des budgets aussi restreints depuis trois ans", note Pierre Le Gunéhec, expert au sein du cabinet Aon Hewitt, qui promet "des NAO difficiles".
Ce dernier conseille aux directions de "parler de tout le +package+ de rémunération (avantages sociaux, intéressement, plans d'épargne d'entreprise), et pas seulement des augmentations salariales quelles soient individuelles ou collectives".
En 2011, la hausse moyenne des budgets des rémunérations devrait tourner autour de 2,7%, selon ce cabinet spécialisé dans les ressources humaines, soit un chiffre similaire à 2010 (2,6%) et 2009 (2,9%).
Durant les trente dernières années, les taux étaient de 3,3 à 3,5% en moyenne, note Aon Hewitt.
Cette année, la modération salariale s'inscrit aussi dans un contexte de retour de l'inflation (prévision 2010 et 2011 à 1,5%) - qui avait été quasi nulle en 2009. Elle va aussi de paire avec une reprise de l'activité dans certains secteurs, sans toutefois évacuer l'incertitude sur la suite, et un dialogue social tendu par la réforme des retraites tout juste promulguée.
"Si on dit aux financiers, les indicateurs sont au vert et en même temps aux partenaires sociaux en NAO, il y a des gros doutes, il faut gérer cet écart", souligne Antoine Richard d'Entreprise et personnel (association de DRH).
Cette équation est clairement posée par certains responsables syndicaux.
La CFDT de Hewlett-Packard juge ainsi "très décevantes" les propositions de la direction (budget global en hausse de 0,9%) "alors que les résultats s'annoncent excellents pour 2010".
Pour Jacques Lacaille, coordinateur CGT chez Rhodia, "il y a un vrai mécontentement sur les salaires, conforté par les très bons résultats du groupe".
"On veut notre part du gâteau et on ira la chercher", résume le syndicaliste CGT pour qui "si la direction croit que la bataille sur les retraites nous a épuisés, elle se trompe".
A l'issue de la mobilisation contre cette réforme, certains responsables du dialogue social dans les entreprises craignent même des négociations "de compensation".
Fin octobre, le leader de Force ouvrière Jean-Claude Mailly pronostiquait que la réforme des retraites laisserait "des traces profondes". "Cet esprit de résistance, on va le retrouver dans les entreprises, dans les administrations, sur les salaires et toute une série de choses", avait-il déclaré.
Pour l'instant, les entreprises qui discutent des rémunérations à l'automne poursuivent les négociations (trois séances obligatoires), tandis que les autres les engageront au premier trimestre 2011.
Au delà de la douloureuse réforme des retraites à digérer, les salariés sont, selon les syndicats, en demande de récompense des efforts consentis pendant la crise.
"Face à la crise, on a demandé aux salariés de se serrer les coudes, maintenant il faut trouver une manière pour tous d'en sortir la tête haute", renchérit Antoine Richard.
Exemple chez Siemens, où une prime exceptionnelle de 1.000 euros (moins les charges) est promise, les syndicats réclament néanmoins une augmentation générale.
"Après le plan de restructuration (2006-2010), les départs volontaires ont conduit à des conditions de travail dégradées pour ceux qui restent, il y a un réel effort de remotivation à faire" et "si l'entreprise va bien, tout le monde doit être récompensé", résume Frédéric Kaladjian (CFDT).