L'adoption éventuelle par les députés français d'une proposition de loi pénalisant la négation du génocide arménien provoquera des "dégâts majeurs" dans les relations commerciales franco-turques, a prévenu dimanche un influent groupement économique turc.
"Si ce texte est adopté, il provoquera des dégâts majeurs dans les relations économiques et commerciales" entre les deux pays, a déclaré à l'AFP le patron de la puissante Union des Chambres de commerce et des Bourses de Turquie (TOBB), Rifat Hisarciklioglu.
A l'heure actuelle, 960 entreprises françaises ont des activités en Turquie et "rien qu'en 2011, 90 nouvelles compagnies françaises se sont implantées" dans le pays, a tenu à rappeler M. Hisarciklioglu, estimant que l'approbation du texte par le Parlement français suscitera des tensions commerciales et possiblement un boycottage des produits français par les consommateurs turcs.
"Il est hors de question que la TOBB initie un tel mouvement car les entreprises françaises en Turquie sont nos adhérents et nous protégeons aussi leurs intérêts", a-t-il dit. Mais le pays compte une importante population jeune "et sur les réseaux sociaux des appels au boycottage peuvent survenir", a-t-il ajouté.
M. Hisarciklioglu co-dirigera lundi une délégation de chefs d'entreprises et d'hommes d'affaires avec Mme Ümit Boyner, la présidente du patronat turc, TUSIAD, qui se rendra à Paris.
La délégation devrait avoir une série de réunions avec des groupes d’affaires français et les inciter à user de leur influence sur les responsables politiques français dans le but d’empêcher la présentation au parlement de la proposition de loi.
Une délégation parlementaire turque accentuera en même temps la pression avec des rencontres à l'Assemblée nationale française.
Le texte, qui prévoit une peine d'un an de prison et une amende de 45.000 euros en cas de contestation du génocide arménien, doit éventuellement être examiné jeudi.
Samedi, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a invité la France à revisiter son propre passé colonial plutôt que le passé ottoman de la Turquie.
"Ceux qui veulent étudier un génocide feraient mieux de se retourner sur leur passé et de se pencher sur leur propre histoire, sale et sanglante", a-t-il dit. "Si l'Assemblée nationale française veut s'intéresser à l'Histoire, qu'elle prenne la peine de s'enquérir des événements en Afrique, au Rwanda et en Algérie".
M. Erdogan a envoyé une lettre au président français Nicolas Sarkozy, lui demandant de faire obstacle au texte, menaçant sinon de consquénces "irréparables" sur les relations bilatérales.
Ankara a déjà averti qu'un vote favorable entraînerait le rappel de son ambassadeur en France et le gel de toute coopération avec Paris.
M. Hisarciklioglu a tenu a préciser que la Turquie, 17e économie mondiale, acteur régional et qui a connu une croissance de 9,6% pour les premiers neufs mois de 2011, constituait une destination privilégiée des investisseurs mondiaux, dont la France.
"Quand le monde politique se bagarre, l'économie en souffre", a-t-il averti.
En 2010, le volume des échanges commerciaux entre les deux pays a augmenté de 17% et a atteint 11,6 milliards d’euros, selon des chiffres officiels.
En 2001, lorsque le Parlement français avait reconnu le génocide arménien de 1915-1917, un appel au boycottage des produits français avait été lancé mais peu suivi. Cependant les entreprises hexagonales avaient été écartées des appels d'offres pour les marchés publics, notamment dans le domaine de l'armement.
Pour les Arméniens, l'Empire ottoman a orchestré un génocide qui a fait 1,5 million de morts. Une vingtaine de pays ont reconnu ce génocide. La Turquie reconnaît jusqu'à 500.000 morts qui ont été selon elle victimes des aléas de la Première Guerre mondiale mais non d'un génocide.