par Chine Labbé
BOBIGNY, Seine-Saint-Denis (Reuters) - Le procès de salariés d'Air France poursuivis pour violences et dégradations aggravées dans l'affaire dite "des chemises arrachées" lors d'un comité central d'entreprise en octobre dernier a été renvoyé vendredi aux 27 et 28 septembre.
"Le tribunal a estimé que cette affaire devait revenir sur deux jours" afin d'entendre toutes les parties et témoins, a expliqué le président du tribunal, faisant droit à la demande de certaines personnes mises en cause.
Une seule journée était initialement prévue pour cette affaire qui concerne quinze prévenus, au moins trois témoins et au moins six parties civiles.
Le 5 octobre 2015, le directeur des ressources humaines d'Air France, Xavier Broseta, et un responsable de l'activité long-courrier, Pierre Plissonnier, tous deux présents à l'audience vendredi, avaient été pris à partie par des salariés furieux après l'annonce de 2.900 suppressions de postes.
Les images montrant ces dirigeants fuyant les manifestants, chemise arrachée et costume déchiré, ont fait le tour du monde. D'autres cadres avaient été molestés et des vigiles blessés. Le Premier ministre, Manuel Valls, avait dénoncé des comportements de "voyous" et demandé des sanctions "lourdes" pour leurs auteurs.
Le renvoi de l'audience, auquel le procureur était opposé, a été salué par la CGT-Air France. La quasi-totalité des prévenus sont adhérents de ce syndicat, a-t-on appris de source syndicale.
"C'est une bonne nouvelle. On vient de remporter une première manche", a réagi Miguel Fortea, secrétaire général de la CGT-Air France. "Pour autant, tout reste à faire", a-t-il ajouté.
Le secrétaire général de la CGT, qui était présent, a déploré qu'on fasse passer les prévenus "pour des délinquants alors qu'ils défendent l'emploi".
"On atteint des sommets quand des salariés qui ont un mandat se retrouvent devant des tribunaux parce qu'ils ont manifesté avec les salariés contre des licenciements", a dit Philippe Martinez à Reuters.
"TENTATIVE DE SABOTAGE"
Le syndicat et plusieurs prévenus accusent la compagnie aérienne d'avoir contribué à créer un climat propice à la confrontation. Ils ont cité Air France à comparaître pour complicité d'immixtion dans un conflit du travail et entrave, et souhaitent que les deux affaires soient jointes.
Mais les parties civiles dénoncent des manoeuvres dilatoires. L'affaire, qui devait initialement être jugée le 2 décembre dernier, avait déjà été renvoyée une première fois.
"Manifestement la défense des prévenus ne voulait pas être jugée aujourd'hui", a déploré à l'issue de l'audience Me Baudouin de Moucheron, l'un des conseils d'Air France.
"Quand on est victimes, on n'est jamais satisfaits d'un délai qui est apporté à la reconnaissance du statut de victime", a-t-il ajouté, dénonçant une "tentative de sabotage de l'audience". "Maintenant on en prend acte. Sur le fond du dossier ça ne changera rigoureusement rien."
Quinze personnes sont poursuivies : cinq pour violences aggravées et onze (dont l'un de ceux accusés de violences) pour dégradations en réunion. Ces dernières sont accusées d'avoir dégradé le portail d'accès au siège de la société.
Depuis le début de la procédure, la CGT, engagée dans un bras de fer avec le gouvernement contre la loi Travail, dénonce une "stratégie de criminalisation de l'action syndicale".
Les parties civiles appellent quant à elles à juger "ce qu'est cette affaire, c'est-à-dire des violences extrêmement graves, dans un contexte de tension avec des mouvements de foule", comme l'a indiqué vendredi à la presse Me Fanny Colin, qui représente un agent de sécurité malmené.
Environ 200 personnes étaient rassemblées vendredi à l'appel de la CGT en contrebas du palais de justice de Bobigny en soutien aux employés poursuivis. Le syndicat demande l'arrêt des poursuites à leur encontre et la réintégration des salariés licenciés.
Quatre employés ont été licenciés par Air France après les débordements du 5 octobre. Le licenciement d'un cinquième, seul délégué syndical mis en cause, est pendant devant le ministère du Travail, l'inspection du Travail s'y étant opposée. Le ministère devrait se prononcer sur son cas d'ici vendredi prochain.
Devant le tribunal, les cinq hommes jugés pour violences aggravées encourent jusqu'à trois ans de prison et 45.000 euros d'amende.
(avec Johnny Cotton, édité par Sophie Louet)