- En dépit d’une croissance phénoménale, certains géants du numérique génèrent de maigres bénéfices, car ils préfèrent pratiquer des prix inférieurs aux coûts et poursuivre leur expansion.
- Grâce à ces stratégies, certaines entreprises technologiques sont au cœur du commerce en ligne et servent d’infrastructures essentielles à une multitude d’autres activités.
- Les caractéristiques de la structure et des pratiques de ces sociétés sont susceptibles de soulever des craintes de comportements anticoncurrentiels ; les annonces récentes aux États-Unis donnent à penser qu’elles sont dans le viseur des autorités antitrust.
1. Qu’entend-on par « trust » dans le terme « antitrust » ? Tim Wu, professeur à la Columbia Law School, retrace parfaitement l’histoire des trusts dans son livre « The Curse of Bigness – Antitrust in the New Gilded Age ». Il décrit comment, entre la fin du 19ème siècle et le début du 20èmesiècle, le « mouvement des trusts » a appelé à réorganiser l’économie américaine / mondiale sous la forme d’un gigantesque monopole, souhait qui se concrétisa par la création d’entreprises comme la Standard Oil et AT&T (NYSE:T) en Amérique ou I.G. Farben en Allemagne.
Aux États-Unis, ce mouvement de monopolisation se développa à un rythme effréné. Entre 1895 et 1904, au moins 2 274 entreprises manufacturières fusionnèrent pour n’en laisser que 157, dotées pour la plupart d’une position dominante dans leur secteur. Au début des années 1900, la quasi-totalité des grands secteurs de l’économie américaine étaient contrôlés par un monopoleur ou en passe de l’être. La compagnie Standard Oil de John D. Rockefeller, la US Steel Corporation et l’International Mercantile Marine Co. faisaient partie des détenteurs de monopole les plus célèbres. Leurs modèles firent des émules qui constituèrent à leur tour des trusts dans des secteurs comme le tabac, le coton, le sucre, le caoutchouc, le cinéma et les clous. C’étaient les monopoles de la période dorée (« Gilded Age »).
2. Causes du développement de ces monopoles Dans les années 1890, les économies américaine et mondiale avaient connu des chocs sévères, marqués par la faillite de centaines d’entreprises. Beaucoup attribuaient cette situation à un facteur : la « concurrence ruineuse » sur les prix.
Des hommes tels que John D. Rockefeller et John Pierpont Morgan, chefs de file du « mouvement des trusts », soutenaient que les monopoles étaient une forme supérieure de structure d’entreprise capable de sauver l’économie américaine de la ruine.
Les partisans du mouvement des trusts considéraient que la vive concurrence prônée par Adam Smith n’avait pas sa place dans une économie industrialisée moderne.
3. Conséquences de l’essor des trusts Bien que certaines entreprises créées durant cette période aient produit des sociétés impressionnantes, le mouvement de monopolisation marquait une rupture radicale avec les valeurs fondamentales de la République américaine, voire la tradition plus humaniste de la civilisation occidentale. Pour citer l’historien Richard Hofstadter, « ce n’était rien de moins que l’organisation tout entière du commerce et de la politique de l’Amérique qui était en jeu, autrement dit la question de savoir qui allait diriger le pays. »
Jusque-là, l’Amérique avait une tradition de résistance à la centralisation des pouvoirs et aux monopoles. Les abus commis par les monopoles de la Couronne avaient en grande partie déclenché la Révolution américaine. On peut considérer que l’épisode de la Boston Tea Party était un mouvement de protestation contre les monopoles.
La philosophie et la vision du « mouvement des trusts » était qu’une économie devait être centralisée, libre de toute ingérence de l’État et dirigée par de grands hommes, ayant pour mission de favoriser « la survie des plus aptes », sans se soucier des difficultés des faibles, des pauvres et des inaptes.