par Jan Strupczewski et Randall Palmer
ANKARA (Reuters) - Les principales économies du monde vont s'accorder pour élaborer avec prudence leur politique monétaire et leur discours aux marchés afin d'éviter de déclencher une fuite des capitaux, mais elles ne qualifieront pas directement la hausse des taux attendue aux Etats-Unis de risque pour la croissance, montre un projet de communiqué vendredi.
De nombreux pays émergents craignent que le resserrement imminent de la politique monétaire de la banque centrale américaine déclenche des mouvements de fuite des capitaux au profit d'actifs libellés en dollars, ce qui affaiblirait leur propre monnaie et créerait de nouvelles turbulences financières.
Les représentants de certains pays émergents souhaitaient donc que le communiqué publié à l'issue de la réunion du G20 à Ankara ce week-end indique qu'une hausse des taux de la Fed dans le contexte actuel représenterait un risque pour la croissance. Mais cette formulation ne figure pas dans le projet de communiqué.
"Nous notons qu'avec l'amélioration des perspectives économiques, la probabilité d'un resserrement de la politique monétaire augmente dans certaines économies avancées", peut-on lire dans ce document.
"Nous définirons (notre politique) avec précaution et communiquerons clairement sur nos actions afin de limiter les effets indésirables, d'atténuer les incertitudes et de promouvoir la transparence", indique ce texte, qui pourrait encore être remanié avant son adoption définitive samedi.
Une version antérieure du projet expliquait que le resserrement de la politique monétaire dans les économies développées "pourrait rester l'une des principales sources d'incertitude sur les marchés financiers".
PRUDENCE SUR LA FED
Une source russe a précisé que le resserrement monétaire avait un temps été qualifié de "principale menace pour l'économie mondiale". "Cela a été abandonné immédiatement et définitivement", a-t-elle ajouté.
Le projet de communiqué salue le renforcement de l'activité dans certaines économies, tout en relevant que la croissance mondiale s'avère inférieure aux attentes.
S'il ne cite pas explicitement la Fed, le texte évoque indirectement la dépréciation du yuan le mois dernier par la Chine, signe que cette mesure n'a pas été perçue comme une dévaluation compétitive destinée à soutenir les exportations chinoises.
"Nous réaffirmons notre engagement à aller vers des systèmes de change davantage déterminés par le marché et une flexibilité des taux de change reflétant les caractéristiques intrinsèques (de nos économies) et à éviter les déséquilibres persistants des taux de change. Nous nous abstiendrons d'effectuer des dévaluations compétitives et écarterons toute forme de protectionnisme", peut-on lire dans l'ébauche de communiqué.
Le Fonds monétaire international (FMI) a prévenu avant la réunion d'Ankara que le ralentissement de la croissance chinoise et la volatilité des marchés constituaient des risques pour la croissance mondiale, avec des conséquences potentielles aussi bien pour les devises des pays émergents que pour les cours des matières premières.
Mais les observateurs ne s'attendaient pas à voir les ministres des Finances et les banquiers centraux du G20 adopter des mesures concrètes, ni à ce qu'ils appellent spécifiquement la Chine à s'attaquer à ses faiblesses structurelles, comme la montée des créances douteuses.
ESPOIR DE PROGRÈS EN NOVEMBRE SUR LE YUAN ET LE FMI
Le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, dont le pays occupe la présidence tournante de l'Union européenne, a relativisé les risques liés à une possible hausse des taux aux Etats-Unis.
"On ne peut pas vivre indéfiniment avec de l'argent facile (...) Il faut réaliser qu'à un moment donné, la courbe des taux d'intérêt doit évoluer", a-t-il dit à Reuters.
"La décision de la Fed sera influencée par de nombreux facteurs à l'intérieur et à l'extérieur des Etats-Unis", a-t-il ajouté. "Le G20 arrive à un très bon moment parce qu'il donne à la Fed l'opportunité de peser tous les éléments en jeu."
Le gouverneur de la Banque du Japon, Harujiko Kuroda, a estimé pour sa part vendredi qu'une hausse des taux américains pourrait constituer un signal positif pour le reste du monde.
"Si les Etats-Unis devaient relever leurs taux, cela répondrait à la solidité de fond et à la croissance de l'économie américaine, ce qui serait de fait un plus pour l'économie mondiale", a-t-il dit.
Le projet de communiqué ne devrait pas se prononcer clairement sur le souhait de la Chine de voir le yuan intégrer le panier de devises de référence du FMI, mais il précise que les ministres et banquiers centraux espèrent des progrès dans ce dossier en novembre, lors de l'assemblée générale du Fonds.
L'une des options envisagées consisterait à accorder à la Chine une part réduite du panier des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI en attendant de nouveaux progrès en matière de convertibilité et de libéralisation du yuan.
(avec Gernot Heller, Dasha Afanasieva et David Dolan; Patrick Vignal et Myriam Rivet pour le service français, édité par Marc Angrand)