La décision prise cette semaine aux Etats-Unis de donner le droit à Cuba de vendre son rhum Havana Club a courroucé Bacardi, auparavant détenteur de la marque sur le territoire américain, et provoqué la satisfaction prudente de son concurrent cubain.
Mercredi, le bureau des marques et des brevets des Etats-Unis (USPTO) a temporairement accordé au gouvernement cubain le droit de vendre son rhum Havana Club aux Etats-Unis dès que l'embargo contre La Havane sera levé, selon des documents consultés par l'AFP vendredi.
Cette décision survient dans le cadre d'une longue bataille juridique entre Cuba et la famille Bacardi, qui vend du rhum Havana Club aux Etats-Unis, mais produit à Porto Rico, sur le sol américain.
Bacardi, société d'origine cubaine exilée aux Bermudes après la révolution castriste de 1959, s'est déclarée "surprise" par cette décision dans un communiqué publié samedi.
L'entreprise a d'ores et déjà annoncé qu'elle engagerait "tous les recours légaux nécessaires" pour défendre ce qu'elle considère comme ses "droits légitimes" sur la marque Havana Club.
- L'embargo toujours bien en place -
Pour l'heure toutefois, et malgré le rapprochement engagé fin 2014 avec les Etats-Unis, Cuba ne peut toujours pas vendre son rhum sur ce marché représentant 40% des ventes de cette boisson dans le monde, du fait de l'embargo économique et financier qui frappe Cuba depuis 1962.
Le rhum cubain Havana Club est depuis 1993 produit par Havana Club Holding, une coentreprise composée du Français Pernod Ricard (PA:PERP) et de Corporacion Cuba Ron SA qui a distribué en 2015 4,5 millions de caisses de 9 litres de son rhum dans plus de 125 pays, sauf les États-Unis.
"C’est une bonne décision, mais il n'y a pas de raison d'être triomphaliste. Pour le moment il s'agit seulement d'un processus administratif qui aujourd'hui n'a aucun impact sur l'entreprise du fait de l'embargo et du conflit légal" pas encore définitivement réglé, a réagi Olivier Cavil, directeur de la communication du groupe Pernod Ricard, dans un message transmis à l'AFP.
En outre, a rappelé M. Cavil, la licence accordée au rhum cubain arrive à échéance le 27 janvier prochain, du fait de la fin de la période de 10 ans (2006-2016) initialement prévue avant sa rénovation.
Les autorités cubaines ont déjà lancé une demande pour prolonger cette licence jusqu'en 2026, a précisé M. Cavil, indiquant "ne pas savoir" quand serait prise la décision.
Par ailleurs, un tribunal du District de Columbia (Est des Etats-Unis) doit se prononcer sur le fond de l'affaire, c'est à dire déterminer qui est le propriétaire légitime de la marque.
- Le dégel en toile de fond -
Le rhum Havana Club a été créé en 1934 par la société américaine Jose Arechabala, dont l'ensemble des avoirs avaient été saisis par le régime castriste.
La marque, tombée dans le domaine public, a été à nouveau déposée aux Etats-Unis par Cuba Export en 1976 mais elle avait perdu ses droits en 2006.
Le différend commercial remonte à une loi américaine appelée "Section 211", adoptée en 1998, et qui a ensuite permis au groupe américain Bacardi d'utiliser la marque de rhum "Havana Club".
En 2002, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) avait déclaré cette loi non conforme aux accords TRIPS sur la propriété intellectuelle, suite à une plainte déposée par l'UE.
Mais pour le journaliste colombien Hernando Calvo, auteur du livre "Bacardi: la guerre occulte du Rhum Bacardi", la décision de l'USPTO a surtout "dû être influencée par l’atmosphère politique (favorable) entre les Etats-Unis et Cuba, même si ce litige est fondamentalement issu d'un appétit plus commercial que politique ou idéologique".
En attendant l'issue de cette bataille juridique, Cuba évalue à plus de 100 millions de dollars le manque à gagner dû à l'impossibilité de vendre son rhum aux Etats-Unis.
Selon l'institut britannique Intangible Business, Havana Club est aujourd'hui la troisième marque de rhum la plus connue au monde après Bacardi et Captain Morgan (Groupe Diageo (L:DGE), GB).