Carlos Ghosn, qui doit être officiellement démis de ses fonctions de PDG de Renault (PA:RENA) dans les prochains jours, va léguer une entreprise en bonne santé financière, dont le succès à l'international fondé sur le "low cost" aura toutefois peu profité aux sites français.
Lorsqu'il est nommé à la tête du constructeur en 2005, Renault vend 2,5 millions de voitures dans le monde et enregistre 1,3 milliard d'euros de bénéfice net. Quatorze ans plus tard, le groupe écoule près de 4 millions de véhicules et sa rentabilité à plus que doublé avec un bénéfice net à 1,9 milliard... sur six mois.
Le dirigeant franco-libano-brésilien, actuellement incarcéré au Japon, a réussi à faire sortir Renault de ses frontières. Il vend désormais plus d'un véhicule sur deux hors d'Europe, contre un sur quatre à son arrivée.
Carlos Ghosn laisse "un groupe en bonne santé, avec des résultats commerciaux et financiers d'excellente facture, un constructeur aujourd'hui armé pour affronter les défis du futur", c'est-à-dire l'électrification et les voitures autonomes, estime Flavien Neuvy, directeur de l'Observatoire Cetelem de l'automobile.
L'Alliance avec ses partenaires Nissan (T:7201) et Mitsubishi s'est hissée en 2017 au premier rang mondial, avec 10,6 millions de véhicules vendus et une répartition équilibrée sur les différents marchés mondiaux, de quoi dégager d'importantes économies d'échelle.
"Quand M. Ghosn a pris les rênes, Renault était performant et profitable sur un seul segment de voiture, la (berline moyenne) Megane et (son dérivé monospace) Scenic, et une seule région, l'Europe", souligne Bruno Azière, délégué syndical central CFE CGC, premier syndicat du groupe en France.
"Si on avait connu une crise sur ce segment et cette région, on était par terre", explique-t-il, jugeant le groupe "plus solide aujourd'hui".
- Moins d'emplois en France -
L'internationalisation du constructeur français s'est faite essentiellement grâce à la réussite des véhicules "low cost" développés par la filiale roumaine Dacia.
"Dacia est la marque qui a connu le plus de croissance en Europe occidentale depuis 2005, c'est un succès extraordinaire et quelque chose d'unique, car il n'y a pratiquement pas de concurrent" à ce niveau de prix et les ventes sont très rentables, commente Tommaso Pardi, directeur adjoint du Groupe d'études et de recherche permanent sur l'industrie et les salariés de l'automobile (Gerpisa).
Ces véhicules conçus et fabriqués en Roumanie, mais également assemblés et distribués dans de nombreux pays émergents (Brésil, Russie, Maroc...) "ont permis à la fois de gagner des parts de marché en Europe et de toucher les classes moyennes des pays en développement", explique M. Neuvy.
"Le problème, c'est qu'aucun de ces véhicules n'est produit en France", nuance pourtant M. Pardi. Selon cet expert, "les années Ghosn en France ont été des années de restructuration, de pertes importantes de volumes de production et d'emplois".
En 14 ans, les effectifs des sites français sont passés de 70.000 à moins de 50.000 personnes et la production nationale à perdu près d'un demi-million de véhicules, des volumes transférés vers la Roumanie, la Turquie ou l'Afrique du Nord.
M. Pardi souligne aussi que la marque Renault a été "affaiblie" par la concurrence de Dacia et qu'elle n'a pas réussi à percer dans le haut de gamme avec sa berline Talisman ou avec la dernière version de son grand monospace Espace. Il regrette aussi que Renault commence tout juste à se développer en Chine, au moment où le marché se tasse, alors que ce pays a longtemps été la chasse gardée du partenaire Nissan au sein de l'Alliance.
Les experts s'accordent cependant sur le caractère visionnaire de Carlos Ghosn dans le véhicule électrique, une technologie qu'il a défendue dès 2009 et sur laquelle il a positionné Renault en leader européen, au prix de milliards d'euros d'investissements. "Il est parti dessus à un moment où personne n'y croyait. Aujourd'hui, tous les constructeurs y vont", note Flavien Neuvy.
Finalement, l'un des principaux reproches faits à Carlos Ghosn est de ne pas avoir préparé sa succession et l'avenir de l'Alliance qui reposait sur sa personne. La crise actuelle montre qu'entre Français et Japonais "les conflits internes n'ont pas été résolus", selon M. Pardi.