par Francesco Canepa et Balazs Koranyi
FRANCFORT (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE) a décidé jeudi de ralentir le rythme de la hausse de ses taux d'intérêt mais elle a souligné que le resserrement de sa politique devrait être prolongé et annoncé qu'elle commencerait en mars à réduire les liquidités fournies au système financier, une arme supplémentaire dans sa lutte contre l'inflation.
Après avoir été prise à contre-pied par l'envolée des prix, la BCE a commencé en juillet à relever ses taux à un rythme sans précédent dans son histoire. Mais, emboîtant le pas à la Réserve fédérale américaine et à la Banque d'Angleterre entre autres, elle a choisi de limiter leur hausse à un demi-point de pourcentage ce mois-ci, contre trois quarts de point en septembre et en octobre.
Son taux de dépôt, celui auquel elle rémunère les dépôts des banques auprès d'elle, qui était encore négatif au printemps, est ainsi porté de 1,5% à 2%, comme attendu par les marchés.
Comme la Fed et la BoE, la BCE a clairement laissé entendre que de nouvelles hausses seraient nécessaires avant que l'inflation ne reflue durablement. Ses nouvelles prévisions économiques montrent en effet que la hausse des prix dans la zone euro pourrait rester supérieure à son objectif de 2% jusqu'en 2025.
"Nous estimons que les taux d'intérêt devront encore augmenter de manière significative et à un rythme régulier", a déclaré sa présidente, Christine Lagarde, lors d'une conférence de presse, ajoutant que des hausses de taux d'un demi-point étaient à prévoir pendant "une période de temps considérable".
"Sur la base des informations dont nous disposons aujourd'hui, cela préfigure une nouvelle hausse de taux de 50 points de base lors de notre prochaine réunion, peut-être lors de la suivante et peut-être par la suite", a-t-elle ajouté.
Les marchés monétaires ont immédiatement intégré ce scénario et misent désormais sur un pic du taux de dépôt à un peu plus de 3% d'ici juillet, contre 2,75% avant la réunion.
Les propos de Christine Lagarde ont toutefois surpris certains observateurs, qui y voient une contradiction avec le discours de la BCE selon laquelle ses décisions seront prises "réunion par réunion" en fonction des données disponibles.
"Il y a là une contradiction de fond que des mots ne suffisent pas à résoudre", a jugé Francesco Papadia, ancien haut responsable de la BCE aujourd'hui membre du cercle de réflexion européen Bruegel.
Christine Lagarde a expliqué que les risques entourant les perspectives d'inflation restaient orientés à la hausse, évoquant la possibilité d'une croissance des salaires plus forte qu'anticipé et celle de voir les mesures budgétaires de soutien au pouvoir d'achat prises par de nombreux pays doper la demande.
Le communiqué publié à l'issue de la réunion du Conseil des gouverneurs évoque la possibilité d'une récession "courte et peu marquée" et Christine Lagarde a rappelé que le chômage était revenu à un niveau historiquement bas.
UN TON PLUS DUR QU'ANTICIPÉ, QUI FAIT MONTER L'EURO
Le ton plus offensif qu'attendu du communiqué du Conseil et de la conférence de presse a permis à l'euro de monter à plus de 1,07 dollar pour la première fois depuis juin.
Sur le marché obligataire, le rendement des emprunts d'Etat allemands à dix ans a dépassé 2,08%, en hausse de plus de 15 points de base sur la journée, et les actions européennes creusaient leurs pertes en milieu d'après-midi, l'indice Euro Stoxx 50 cédant 3,37%.
"Contrairement aux Etats-Unis, il n'y a pas encore de signe clair de détente de l'inflation dans la zone euro, ce qui pourrait inciter le Conseil des gouverneurs à poursuivre la hausse des taux en 2023 plus longtemps que la Réserve fédérale, ce qui est un facteur de soutien à l'euro", a dit Matthew Ryan, responsable de la stratégie de marché d'Ebury.
La prochaine étape du resserrement de la politique monétaire de la BCE sera la réduction du portefeuille d'obligations de quelque 5.000 milliards d'euros constitué ces dernières années au fil des achats réalisés par la BCE sur les marchés pour assurer le maintien de taux très bas.
À partir de mars, le portefeuille du programme d'achats APP devrait ainsi commencer à diminuer "à un rythme mesuré et prévisible".
"Cette réduction sera de 15 milliards d'euros par mois en moyenne jusqu'à la fin du deuxième trimestre 2023, puis son rythme sera ajusté au fil du temps" à partir de juillet, précise le communiqué.
Ce processus, qui reviendra à retirer des liquidités du système financier et qui vise à favoriser la remontée des taux d'intérêt à long terme, a déjà été amorcé par la Fed et la BoE. Il aura notamment des conséquences sur les coûts de financement des banques de la zone euro, et donc sur les taux d'intérêt des prêts accordés aux entreprises et aux ménages.
L'impact de ces annonces a été immédiat sur les rendements des emprunts d'Etat des pays jugés les plus fragiles de la zone euro, comme l'Italie, qui ont longtemps bénéficié des achats de la BCE: le rendement des titres à dix ans émis par Rome, en hausse de plus de 25 points à 4,119%, s'acheminait vers sa plus forte augmentation sur une séance depuis mars 2020, au tout début de la crise du COVID-19.
(Reportage Balazs Koranyi, version française Marc Angrand, édité par Blandine Hénault et Sophie Louet)