L’ouverture de son économie, son internationalisation et, plus important encore, l’émergence de modèles économiques non conventionnels à forte croissance portés par les entreprises d’Internet ont entraîné des déséquilibres et des inégalités disproportionnées au sein de la société chinoise, avec des externalités négatives sur l’ensemble de l’économie.
La Chine est-elle « ininvestissable » parce que les règles du jeu sont différentes ?
Ant GroupEn novembre 2020, la « China Securities Regulatory Commission », conjointement avec d’autres organismes de réglementation chinois, ont suspendu l’introduction en bourse d’Ant Group quelques jours seulement avant son lancement prévu. Avec plus de 1,3 milliards d’utilisateurs et une introduction en Bourse présumée lever environ 35 milliards USD, la suspension d’Ant Group a refroidi l’ensemble du marché actions chinois.
Ce qui aurait dû devenir la plus grande introduction en bourse au monde avec 300 milliards USD s’est transformé en une vague réglementaire prolongée ciblant les entreprises chinoises de l’Internet, appelée « répression des grandes entreprises technologiques ». En plus des inquiétudes liées à la gouvernance, aux pratiques de gestion des risques et à la conformité réglementaire de l’entreprise, les régulateurs chinois ont fait valoir la nécessité de protéger les intérêts des investisseurs et de maintenir la stabilité des marchés financiers. En effet, l’étendue de son modèle économique « originate-to-distribute » ciblant les personnes largement écartées du système financier, ne détenant probablement pas la notation de crédit la plus optimale, était de plus en plus perçue comme un périlleux accroissement du risque financier systémique. En tant qu’institution non financière, Ant Group ne détenait pas le risque. Le risque reposait entièrement sur les bilans des banques qui avaient souscrit la dette sans effectuer de « due diligence ». Ainsi, afin d’atténuer « l’aléa moral », les régulateurs chinois ont imposé aux initiateurs (tels que Ant Group) de financer au moins 30 % des prêts qu’ils accordent auprès de banques partenaires. Après une amende de près de 1 milliard USD marquant la fin d’un remaniement de deux ans, Ant Group a enfin obtenu un feu vert provisoire pour relancer ses plans initiaux d’introduction en Bourse à Shanghaï et Hong Kong en 2022.
Titres du secteur de l’enseignement
En juillet 2021, le Ministère chinois de l’éducation a annoncé le lancement d’une politique de « double réduction » visant à diminuer la charge de travail des étudiants en scolarité obligatoire et le poids des formations hors établissement.
« Par nature, les hommes se ressemblent ; par la pratique, ils s’éloignent les uns des autres» Conformément à la philosophie éducative de Confucius, selon laquelle l’éducation est considérée comme l’un des principaux facteurs influençant le parcours de vie et potentiellement le destin de chacun, les parents chinois se sont lancés dans une course effrénée et compétitive afin d’améliorer la qualité de l’éducation de leurs enfants Ce phénomène s’est traduit par des niveaux de plus en plus élevés de dépenses en éducation, représentant en moyenne 17 % des revenus des ménages et 57 % des revenus des ménages du quartile inférieur1. D’autre part, cette demande incessante de cours particuliers a accru le pouvoir de négociation des sociétés de tutorat, leur permettant d’augmenter leurs prix et donc leurs bénéfices au détriment des finances des ménages chinois, dans un cercle vicieux sans fin. En fin de compte, les parents devenaient de moins en moins enclins à avoir plus d’enfants, en raison de la charge des coûts, accentuant ainsi le déclin démographique du pays. C’est alors que le gouvernement chinois a décidé d’intervenir en obligeant les organismes de tutorat extra-scolaire à se convertir en organismes à but non lucratif, en interdisant le tutorat pour le programme de base pendant les weekends et les vacances, en interdisant aux professeurs étrangers situés en dehors de la Chine continentale d’enseigner, et en prohibant la publicité et le marketing.
La réaction du marché boursier à l’égard des deux plus grandes entreprises chinoises privées proposant du tutorat extra-scolaire, TAL Education et New Oriental Education, fut sans équivoque : celles-ci ont respectivement perdu 95 % et 90 % de leur capitalisation boursière entre leur pic de février 2021 et leur plus bas de juillet 2021. Plus de 74 milliards USD de capitalisation boursière globale a disparu en moins de six mois.
Les récentes réglementations à l’égard des entreprises d’internet soudainement émises par le gouvernement chinois étaient sans conteste imprévues et ont refroidi les investisseurs étrangers, qui ont délaissé le marché actions chinois. Pourtant, certaines de ces réglementations s’avéraient nécessaires pour les objectifs dits de « prospérité commune » du pays.