par Khaled Abdallah et Sami Aboudi
SANAA/ADEN (Reuters) - L'Arabie saoudite a lancé jeudi avec ses alliés sunnites de la région du Golfe une campagne de frappes aériennes au Yémen dans le but de faire reculer les Houthis chiites qui assiègent Aden, la ville du sud du pays où s'est réfugié le président yéménite.
Selon la chaîne de télévision Al Arabiya basée à Dubaï, le royaume a affecté 100 avions de guerre et 150.000 soldats à l'opération militaire au Yémen tandis que l'Egypte, le Pakistan, la Jordanie et le Soudan sont prêts à participer à une offensive au sol.
Ces chiffres n'ont pas été confirmés par Ryad. Selon Al Arabiya, les Emirats arabes unis ont mobilisé 30 avions pour cette opération, Bahreïn et le Koweït 15 chacun, le Qatar 10, la Jordanie et le Maroc six chacun et le Soudan trois.
La Jordanie et le Soudan ont confirmé leur participation à l'offensive aérienne en cours au Yémen tandis que le Pakistan a dit réfléchir à la demande de l'Arabie saoudite d'envoyer des troupes au sol.
L'Iran chiite a exigé "une cessation immédiate de toutes les agressions militaires et frappes aériennes contre le Yémen et son peuple", en jugeant que l'offensive saoudienne allait saper "les efforts déployés pour résoudre la crise (au Yémen) de manière pacifique".
Peu après l'annonce de l'offensive par l'ambassadeur d'Arabie saoudite aux Etats-Unis, qui a immédiatement fait bondir les cours du pétrole, des avions de guerre non identifiés ont lancé une attaque sur l'aéroport de Sanaa, la capitale, et sur sa base militaire aérienne de Doulaimi, ont indiqué des habitants.
DIZAINES DE VICTIMES
Les frappes ont visé un quartier résidentiel au nord de la capitale, faisant des dizaines de victimes, rapporte la chaîne de télévision houthie Al Massirah. Aucun bilan n'a pu être obtenu par Reuters.
Un journaliste de Reuters à Sanaa a constaté que quatre ou cinq bâtiments avaient été endommagés près de l'aéroport. Les secouristes ont fait état de 13 morts.
"Nous ferons ce qu'il faudra pour empêcher la chute du gouvernement légitime du Yémen", a déclaré l'ambassadeur saoudien aux Etats-Unis lors d'une conférence de presse.
Les médias officiels saoudiens ont diffusé des images montrant des avions de chasse décoller d'un aérodrome dans la nuit. Ils ont aussi montré une inspection conjointe à un poste de commandement du prince Mohamed ben Nayef, second prince héritier et ministre de l'Intérieur, et de Mohamed ben Salman, ministre de la Défense, deux des personnages les plus importants du royaume wahhabite.
L'opération vise à empêcher les rebelles chiites houthis, d'utiliser les aéroports et les avions du Yémen pour attaquer Aden et d'autres régions du Yémen, a précisé à Reuters le ministre yéménite des Affaires étrangères, Riyadh Yassine, qui se trouve en Egypte.
Les Etats-Unis, sans faire partie de la coalition, soutiennent l'opération. Le président Barack Obama a autorisé un soutien en matière de logistique et de renseignement, précise un communiqué de la Maison blanche.
Après les premières frappes, les cours du pétrole ont bondi de près de 6%. Les cours à terme du Brent sont remontés à près de 60 dollars le baril et se négociaient à quasiment 59 dollars, soit +4,3%, vers 10h15.
Le golfe d'Aden, étroit couloir maritime d'une quarantaine de kilomètres de large entre le Yémen et Djibouti, commande l'accès à la mer Rouge puis au canal de Suez et constitue une voie de transit majeure du commerce pétrolier mondial.
Le glissement progressif du Yémen dans la guerre civile fait du pays un lieu d'expression de la rivalité entre l'Arabie saoudite sunnite et l'Iran chiite, accusé par Ryad d'attiser les tensions dans la région, notamment au Yémen, par son soutien aux houthis chiites.
La situation est rendue encore plus complexe par la présence au Yémen de l'une des branches les plus puissantes d'Al Qaïda, Al Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa), régulièrement prise pour cible par des bombardements de drones américains, et par l'influence persistante au sein de l'armée yéménite de partisans de l'ancien président Ali Abdallah Saleh, chassé du pouvoir début 2012 à la suite de vastes manifestations.
L'ambassadeur saoudien, Adel al Djoubeir, a précisé qu'une coalition de dix pays participait à l'offensive militaire et que celle-ci avait lieu à la demande expresse du président Abd-Rabbou Mansour Hadi. Après la prise de Sanaa par les Houthis en septembre dernier, les troubles se sont accentués dans le pays et, en février, le président s'est réfugié à Aden, le grand port du sud du pays.
Selon le directeur de son bureau, Mohamed Marem, le président est toujours dans son QG à Aden, contrairement à ce qui avait pu être dit à un moment. Il a été mis "de bonne humeur" par le lancement de l'offensive, a précisé le directeur.
L'AEROPORT D'ADEN REPRIS
Les forces d'Abd-Rabbou Mansour Hadi ont lancé une contre-offensive, reprenant l'aéroport d'Aden tombé la veille aux mains de combattants fidèles à l'ancien président Ali Abdallah Saleh, alliés aux Houthis.
Dans une lettre adressée mardi au Conseil de sécurité des Nations unies, le président Hadi avait indiqué avoir demandé à la Ligue arabe et au Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Oman, Koweït, Bahreïn, Émirats arabes unis et Qatar) "de fournir immédiatement tous les moyens nécessaires, y compris une intervention militaire, pour protéger le Yémen et sa population."
Comme base juridique de sa demande, Hadi citait l'article 51 de la charte des Nations unies, qui concerne le droit individuel ou collectif à l'autodéfense contre une attaque armée.
Réagissant à l'annonce de l'intervention, un dirigeant du mouvement houthi au Yémen a déclaré jeudi que les frappes aériennes saoudiennes équivalaient à une agression contre le pays et mis en garde contre une extension de la guerre dans toute la région.
"Le peuple yéménite est un peuple libre et il fera face aux agresseurs. (...) Le gouvernement saoudien et les gouvernements du Golfe regretteront cette agression", a déclaré Mohammed al Boukhaiti, membre du bureau politique des Houthis, à la chaîne de télévision Al Djazira, basée à Doha, au Qatar.
Pour un graphique, voir : http://link.reuters.com/xaj44w
(Avec Yeganeh Torbati et Sandra Maler; Danielle Rouquié, Nicolas Delame et Bertrand Boucey pour le service français)