par Danilo Masoni
MILAN (Reuters) - Difficile d'être optimiste sur l'immobilier dans un contexte de hausse de taux. Pour autant, les valeurs immobilières européennes, mal-aimées des marchés, ont connu un rallye surprise cet été, suggérant que des investisseurs à contre-courant commencent à parier sur l'après.
Deux années de chute vertigineuse ont fait de l'immobilier européen l'un des secteurs préférés des vendeurs à découvert, alors que les valorisations du secteur et le positionnement des investisseurs ont plongé à des niveaux jamais vus depuis la crise de 2008.
Depuis 2021, la valeur du secteur immobilier de l'indice Stoxx 600 a été divisée par deux pour atteindre environ 121 milliards d'euros, mais l'humeur a changé en juillet lorsque les prévisions de bénéfices des groupes du secteur se sont améliorées.
Le secteur a surperformé son indice en juillet de 10 points de pourcentage avant un mois d'août volatile, ce qui a forcé les vendeurs à découvert à racheter des titres pour couvrir leurs positions, ce alors que les flux entrants sur certains fonds négociés en bourse (ETF) sur le secteur se sont accrus.
Gerry Fowler, responsable de la stratégie actions européennes chez UBS, a déclaré que les rendements obligataires en Europe semblaient refléter une pause dans les hausses de taux de la Banque centrale européenne en septembre, et que cela commençait à atténuer la pression sur les sociétés immobilières tout en encourageant les investisseurs à s'intéresser à elles.
"La situation n'est pas brillante pour les sociétés immobilières et c'est la raison pour laquelle elles se négocient avec une forte décote. Devons-nous nous attendre à ce qu'elles retrouvent immédiatement leur pleine valorisation ? Probablement pas. Mais du point de vue du sens de la marche, les choses ont commencé à s'améliorer", explique-t-il.
"Depuis un mois ou deux, nous commençons à avoir des indications sur la capacité des entreprises à se recentrer sur la croissance des bénéfices".
Les données de Refinitiv montrent que les révisions des bénéfices sont devenues positives en juillet, après 15 mois de baisses, et les bénéfices sont désormais attendus en progression de 1,4% en 2024, les prévisions précédentes tablant sur une légère baisse.
Toutefois, Zsolt Kohalmi, codirecteur général de Pictet Alternative Advisors à Londres, juge que les taux d'intérêt en Europe devraient baisser d'environ 150 points de base pour relancer le marché, qui est en difficulté en raison d'une "pause totale" dans les transactions parce que les acheteurs et les vendeurs ne parviennent pas à se mettre d'accord sur les prix.
"Cet été, certains font le pari que tout va être rose. L'inflation va baisser, les taux d'intérêt vont baisser et certains des problèmes structurels de l'immobilier vont être résolus", ajoute-t-il.
"C'est un scénario. Mais je ne sais pas quelle est sa probabilité. Je pense que cela prendra plus de temps et que nous pourrions connaître un autre creux avant d'avoir un rebond".
Selon S&P Global Market Intelligence, les volumes d'actions empruntées, un indicateur de l'intérêt des vendeurs à découvert pour une valeur, des foncières et des promoteurs européens ont chuté de près d'un tiers depuis le pic atteint en mai et représentent désormais moins de 1,7% de la capitalisation boursière des groupes concernés.
Parallèlement, l'iShares European Property ETF de BlackRock (NYSE:BLK) a enregistré une hausse de 10% des flux entrants depuis la fin février, selon les données publiées sur son site web.
La plupart des investisseurs restent néanmoins à l'écart: l'enquête menée par Bank of America (NYSE:BAC) auprès des gestionnaires de fonds en août a montré que les investisseurs avaient capitulé et que leur positionnement était retombé aux niveaux de 2008, mais que l'achat de REIT (real estate investment trusts) constituait la principale opération contrariante.
Les actions de l'immobilier en Europe affichent un ratio prix sur actifs (price to book) inférieur de 30% à sa moyenne sur 20 ans et en décote de 49% par rapport au marché, sa décote la plus importante depuis 15 ans, selon les données de Refinitiv.
Un rapport publié en juillet par la banque de financement et d'investissement de Natixis (NYSE:99V33V1Z3=MSIL) indique que les transactions de biens immobiliers commerciaux en Europe ont chuté de 60% en glissement annuel au premier trimestre.
Natixis prévoit une baisse de la valeur des biens immobiliers et voit des risques de dégradation de la notation de six des 22 REIT cotés, ce qui pourrait compliquer l'émission de dette.
Les banques sont de plus en plus vigilantes quant à la détérioration de la qualité des prêts qu'elles accordent aux sociétés immobilières, les ratios clés, notamment le ratio prêt/valeur, étant soumis à des pressions constantes, ce qui pourrait obliger les emprunteurs à augmenter leurs fonds propres, voire à vendre des actifs.
Société Générale (EPA:SOGN), qui n'a aucune exposition à l'immobilier depuis plus d'un an, considère le rebond de l'été comme un faux départ et pense qu'il n'y a pas de direction claire dans les bénéfices du secteur.
"Nous n'aimons pas grappiller quelques sous dans un marché à faible liquidité. Des opportunités peuvent émerger (...) mais l'image du secteur est loin d'être positive", pour Charles de Boissezon, responsable de la stratégie actions de la banque.
Une nouvelle vague d'inflation fait partie des risques pour l'immobilier. Zsolt Kohalmi, de Pictet, a également déclaré que la "plus grande inconnue" concernait le prochain cycle de refinancement, en particulier sur le marché à l'offre surabondante des immeubles de bureaux aux États-Unis : "Étant donné que les banques de premier rang ne veulent pas refinancer les acteurs du marché, personne ne sait comment cela se déroulera."
Toutefois, pour Gerry Fowler d'UBS, les valeurs immobilières européennes peuvent continuer à surperformer jusqu'à la fin de l'année : "Les meilleures idées sont celles qui ne reposent pas entièrement sur un scénario haussier. (...) Lorsque vous avez la certitude que les choses vont aller mieux, il est probablement déjà trop tard pour réaliser de la performance".
(Reportage Danilo Masoni, version française Corentin Chappron, édité par Kate Entringer)