A-t-elle par sa "négligence" permis un gigantesque détournement d'argent public au profit de Bernard Tapie? Christine Lagarde, ex-ministre et actuelle patronne du FMI, comparaît lundi devant la Cour de justice de la République (CJR).
"J'ai essayé de faire tout mon travail, le mieux possible dans la limite de tout ce que je savais", a affirmé Mme Lagarde, 60 ans, dans un reportage diffusé dimanche soir sur France 2, en se disant "confiante et déterminée".
Elle risque jusqu'à un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende dans l'affaire de l'arbitrage intervenu dans le très vieux conflit entre Bernard Tapie et l'ancienne banque publique Crédit Lyonnais sur la revente en 1994 de l'équipementier sportif Adidas (DE:ADSGN).
"La négligence est un délit non intentionnel. Je pense qu'on est tous un peu négligent quelque part dans sa vie", a ajouté celle qui sera le septième membre de gouvernement à comparaître devant la CJR, chargée depuis 1993 de juger les ministres pour les crimes et délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.
A 14H00 s'ouvrira son procès devant cette juridiction d'exception, composée de trois juges de la Cour de cassation, six députés et six sénateurs. Il est prévu qu'il dure jusqu'au 20 décembre.
Christine Lagarde, reconduite haut la main l'été dernier comme directrice générale du FMI, a indiqué qu'elle se mettrait "en congé" du Fonds monétaire international le temps du procès, sans se prononcer sur les conséquences d'une éventuelle condamnation.
"Elle sera relaxée et donc cette question ne se pose pas", a balayé son avocat Me Patrick Maisonneuve lundi sur Europe 1. Il compte demander un sursis à statuer, se demandant comment la CJR pourrait dire si "oui ou non" il y a eu "un détournement de fonds publics en quelques jours alors que les juges parisiens sont saisis de cette question et qu'ils n'ont pas tranché depuis plusieurs années".
- "Pas de cadeau" selon Tapie -
Ministre de l'Economie et des Finances entre 2007 et 2011 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Mme Lagarde est jugée au titre de l'article 432-16 du Code pénal qui vise toute personne dépositaire de l'autorité publique qui aurait, par sa "négligence", permis un détournement de fonds publics.
Il lui est reproché d'avoir fait preuve dans cette affaire "d'une incurie et d'une précipitation critiquables" et d'avoir ainsi "privé l'Etat d'une chance d'éviter que ses fonds soient détournés".
A l'automne 2007, elle a autorisé, avec "légèreté" selon les enquêteurs, le choix d'une procédure privée d'arbitrage dans l'affaire Tapie/Crédit Lyonnais.
Puis en juillet 2008 elle a renoncé, un peu vite selon les magistrats instructeurs, à engager un recours contre la sentence arbitrale qui attribue à l'homme d'affaires plus de 400 millions d'euros (avec les intérêts), pris sur les deniers publics.
Le recours à l'arbitrage se préparait cependant avant son arrivée à Bercy. Surtout, Mme Lagarde n'est pas intervenue dans le choix, très controversé, des arbitres.
L'arbitrage a été annulé en 2015 au civil, avec obligation pour M. Tapie de rembourser. Au pénal, les enquêteurs soupçonnent un "simulacre" organisé au bénéfice de l'homme d'affaires, dont l'avocat avait des liens avec l'un des arbitres.
Dans cet autre volet de la tentaculaire affaire Tapie, six personnes sont mises en examen, entre autres pour "escroquerie". Parmi elles, l'ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy et actuel PDG d'Orange, Stéphane Richard.
La CJR souhaite entendre certaines d'entre elles, dont M. Richard, comme témoins.
La Cour veut également, selon des sources proches du dossier, citer les deux prédécesseurs de Mme Lagarde à Bercy, Thierry Breton et Jean-Louis Borloo, ainsi que deux anciens piliers de l'Elysée: l'ex-secrétaire général de la présidence Claude Guéant, et l'ancien conseiller économique de Nicolas Sarkozy, le banquier François Pérol.
Bernard Tapie, qui se défend d'avoir floué le contribuable et conteste l'annulation de l'arbitrage, a affirmé dimanche au JDD que Christine Lagarde ne lui "a jamais fait de cadeau". "En tant que ministre, elle a fait ce qu'elle avait à faire. Ni plus, ni moins".