par MacDonald Dzirutwe
HARARE (Reuters) - L'armée a pris le pouvoir au Zimbabwe aux premières heures de mercredi, disant viser les "criminels" dans l'entourage du président Robert Mugabe, seul dirigeant qu'ait connu le pays d'Afrique australe en trente-sept ans d'indépendance.
Soldats et véhicules blindés contrôlent la radio-télévision nationale et bloquent les voies d'accès aux principaux ministères, au Parlement et aux tribunaux dans le centre de Harare, la capitale où l'atmosphère reste calme.
Les militaires ont assuré que le président Mugabe, qui est âgé de 93 ans, et sa famille étaient sains et saufs.
Le président sud-africain Jacob Zuma a dit s'être entretenu par téléphone avec son homologue zimbabwéen, qui lui a dit qu'il était retenu à son domicile mais qu'il se portait bien.
On ignore encore si le coup de force de l'armée mettra un terme au long gouvernement de Mugabe.
Le principal objectif des militaires semble être d'empêcher son épouse Grace Mugabe, 52 ans, de lui succéder.
Le président du Zimbabwe, toujours admiré par de nombreux Africains comme un héros de la lutte anti-coloniale, est considéré comme un despote par les Occidentaux qui estiment que sa gestion désastreuse de l'économie et son recours à la violence pour se maintenir au pouvoir a ruiné l'un des Etats les plus prometteurs du continent africain.
Robert Mugabe a déclenché une crise politique le 6 novembre dernier en limogeant son vice-président et successeur présumé Emmerson Mnangagwa, 75 ans, pour "déloyauté".
Les généraux pensent que cette décision devait permettre de dégager la voie pour Grace Mugabe. Le chef de l'armée, le général Constantino Chiwenga, a averti lundi que l'armée n'hésiterait pas à intervenir pour "protéger la révolution".
Surnommé le "Crocodile", ancien ministre de la Défense, Emmerson Mnangagwa a aussi dirigé les services secrets du Zimbabwe.
"Nous visons uniquement des criminels de (l')entourage (de Mugabe) qui commettent des crimes à l'origine de souffrances économiques et sociales dans le pays, dans le but de les traduire en justice", a déclaré le général SB Moyo, chef d'état-major logistique, lors d'une allocution télévisée.
"Dès que nous aurons accompli notre mission, nous pensons que la situation reviendra à la normale."
"LA FIN D'UN CHAPITRE TRÈS TRISTE"
Quelle que soit l'issue de cette crise, les événéments constituent déjà une date majeure dans l'histoire du pays d'Afrique australe, autrefois l'un des plus prospères, aujourd'hui réduit à la pauvreté en raison d'une grave crise économique dont l'opposition rend le président responsable.
Au sein même du noyau dur des partisans les plus fidèles du chef de l'Etat, beaucoup se sont émus de la montée en puissance de son épouse, qui courtise le mouvement de jeunesse du parti au pouvoir Zanu-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe - Front patriotique) mais s'est aliéné les militaires, dirigés par les anciens compagnons de lutte de Mugabe pendant la guerre d'indépendance des années 1970.
Le pays, ancienne colonie britannique (ex-Rhodésie), est indépendant depuis 1980. Mugabe en a été le Premier ministre entre 1980 et 1987 avant d'en être le président sans discontinuer depuis.
"C'est la fin d'un chapitre très triste et très douloureux dans l'histoire d'un jeune pays, dans lequel un dictateur, en devenant vieux, s'en est remis à une bande de voleurs autour de sa femme", a déclaré à Reuters Chris Mutsvangwa, influent chef de file des anciens combattants de la guerre de libération.
Le secrétaire général de l'Association des Vétérans, Victor Matemadanda, a appelé à la mise à l'écart de Robert Mugabe de la présidence et de la direction de la Zanu-PF.
La principale formation d'opposition, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), a dit espérer que l'intervention militaire permette "l'établissement d'un Etat-nation stable, démocratique et progressiste".
S'exprimant au nom de la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC), Jacob Zuma a souhaité qu'il n'y ait pas de changements constitutionnels contraires aux positions de la SADC et de l'Afrique du Sud. Il a invité le gouvernement et l'armée à "régler à l'amiable l'impasse politique".
DÉCLIN ÉCONOMIQUE
Le déclin économique du Zimbabwe au cours des vingt dernières années pèse sur l'ensemble de la région. Des millions de réfugiés économiques ont quitté le pays, rejoignant pour leur grande majorité le voisin sud-africain.
Le ministre des Finances Ignatius Chombo, un des chefs de la "Génération 40" (G40), groupe formé au sein de la Zanu-PF et dirigé par Grace Mugabe, est détenu par l'armée, apprend-on dans l'entourage du gouvernement.
La sévère mise en garde lancée lundi par le général Constantino Chiwenga, commandant des forces de défense du Zimbabwe, a été suivie dans la nuit de mardi à mercredi du déploiement de soldats et de véhicules blindés à Harare.
Les militaires se sont ensuite emparés du siège de la ZBC, la radio-télévision publique, porte-voix du président nonagénaire. Le personnel a été sommé de quitter les lieux.
Peu après, trois explosions ont été entendues dans le centre de la capitale.
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France ont adressé des consignes de sécurité à leurs ressortissants en raison de l'"incertitude politique".
Avant de lancer sa mise en garde, le général Chiwenga s'était rendu la semaine dernière à Pékin. La Chine et le Zimbabwe entretiennent d'étroites relations, à la fois sur les plans diplomatique et économique.
(Avec Ed Cropley, James Macharia et Joe Brock à Johannesburg; Jean Terzian, Benoît Van Overstraeten, Danielle Rouquié et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)