par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - Abdelkader Merah, le frère du tueur de militaires et d'enfants juifs Mohamed Merah, sera rejugé, a décidé vendredi le parquet général de Paris, qui a fait appel de sa condamnation à 20 ans de détention jeudi par une cour d'assises spéciale.
Mohamed Merah a été tué le 22 mars 2012 dans l'assaut de l'appartement où il s'était retranché après avoir abattu trois militaires, trois écoliers de l'école juive Ozar Hatorah de Toulouse et le père de deux d'entre eux, les 11, 15 et 19 mars. Des assassinats revendiqués par un groupe affilié à Al Qaïda.
L'avocate générale Naïma Rudloff avait requis lundi à l'encontre d'Abdelkader Merah la réclusion à perpétuité assortie de 22 ans de sûreté pour complicité d'assassinats et association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.
Les avocats de cet ex-caïd de cité franco-algérien de 35 ans converti à l'islamisme radical demandaient son acquittement.
Après un mois de procès tendu, la cour n'a finalement retenu que l'association de malfaiteurs, au grand dam des familles des victimes et d'une partie des avocats des parties civiles.
Elle a considéré dans ses motivations que les éléments à charge étaient "insuffisants" pour condamner Abdelkader Merah pour complicité et que "le doute devait lui profiter".
"Il n'est pas démontré l'existence d'une aide ou assistance apportée en connaissance de cause par Abdelkader Merah à son frère lors de la commission des assassinats", a-t-elle expliqué.
Si la peine prononcée était confirmée, Abdelkader Merah, qui a déjà fait cinq ans et demi de détention provisoire, pourrait donc théoriquement sortir de prison dans environ huit ans.
"On est trop naïf en France, il faut qu'on se réveille (...) Les gens comme lui sont des gens dangereux, des gens qui ne laissent pas de trace", a déclaré après le verdict la mère du premier soldat abattu par Mohamed Merah, Latifa Ibn Ziatem.
"ÉTHIQUE JUDICIAIRE"
"Lorsqu’il sera relâché, Abdelkader Merah représentera un très grave danger pour la France", a renchéri vendredi sur LCI Samuel Sandler, père et grand-père de victimes.
La procureure générale de Paris estime pour sa part que la cour "n'a pas tiré toutes les conséquences juridiques des faits qui lui étaient soumis", lit-on dans un communiqué du parquet.
Elle a donc décidé de faire appel de la décision de la cour d'assises, notamment "de l'acquittement partiel d'Abdelkader Merah pour complicité d'assassinats et tentative d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste".
Cet appel vaut aussi pour l'autre prévenu, Fettah Malki, à l'encontre de qui l'avocate générale avait requis 20 ans de prison pour avoir fourni au tueur une des armes utilisées lors de son équipée meurtrière et un gilet pare-belle.
Ce délinquant multirécidiviste a finalement été condamné à 14 ans de prison avec peine de sûreté des deux tiers mais ses avocats ont annoncé dès jeudi qu'il voulait faire appel.
L'un des trois avocats d'Abdelkader Merah, Eric Dupond-Moretti, a pour sa part laissé entendre que son client pourrait faire de même. "Je pense qu'on s'oriente vers un autre procès", a-t-il dit sur France Inter vendredi matin.
Me Dupond-Moretti conteste l'incrimination d'association de malfaiteurs, qui est selon lui une infraction "fourre-tout" et "intrinsèquement discutable".
Du côté des parties civiles, Me Simon Cohen, avocat de familles de victimes de Mohamed Merah, estime que la décision du parquet général de faire appel relève de l'"éthique judiciaire".
PROCÈS RÉFÉRENCE
"Lorsqu'un haut magistrat soutient qu'un accusé est coupable d'un fait, il a le devoir moral de ne pas renoncer si l'accusé n'est pas condamné pour ce fait-là", a-t-il dit à Reuters.
"Donc, en appel, je soutiendrai qu'Abdelkader Merah est effectivement coupable de complicité d'assassinats."
Me Olivier Morice, avocat de la famille d'un des militaires tués par Mohamed Merah, qui avait salué le verdict et estimé qu'il ne fallait pas "faire croire (aux familles des victimes) que tout est possible", juge pour sa part que les motivations de la cour posent effectivement des questions juridiques.
Selon les estimations les plus optimistes, le procès en appel d'Abdelkader Merah et Fettah Malki ne pourra pas avoir lieu avant un an, voire plusieurs années.
A moins que la pression combinée des familles, de l'opinion, du pouvoir politique, de l'accumulation des dossiers liés à l'islamisme radical violent et des procès en assises à venir ne contraignent l'institution judiciaire à accélérer le mouvement.
"Il va falloir que, pour une fois, la lourdeur de l'appareil judiciaire ne ralentisse pas le cours des choses. Cette affaire mérite d'être rejugée rapidement", estime Me Simon Cohen, pour qui ce procès fixera une sorte de jurisprudence.
"C'est le procès référence pour les affaires de terrorisme, notamment pour les procès de complices en l'absence des auteurs directs. Et il va y en avoir", a-t-il ajouté.
Pour le directeur général de l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT), une des parties civiles, il s'agit notamment de savoir si l'on peut condamner au moins aussi lourdement l'inspirateur idéologique que l'acteur direct.
"Si dans les affaires de terrorisme, celui qui manipule les esprits, l'idéologue, est jugé moins responsable que celui qui frappe, on passe à côté de l'essence du terrorisme, qui est une guerre idéologique", estime Guillaume Denoix de Saint-Marc.
(Avec Caroline Pailliez, édité par Yves Clarisse)