par Elizabeth Pineau
PARIS (Reuters) - Emmanuel Macron dialoguant pendant des heures en bras de chemise avec des maires, Edouard Philippe plaisantant avec des citoyens à Sartrouville, Marlène Schiappa au tableau pendant un talk-show télévisé : le "grand débat" voulu et parfois animé par le pouvoir semble avoir trouvé son rythme de croisière.
Lancé par le président français le 15 janvier dans l'Eure pour répondre à la flambée des "Gilets jaunes", cet exercice inédit aux allures cathartiques a permis au chef de l'Etat de confirmer une embellie dans les sondages, sans tarir la mobilisation des "Gilets jaunes", encore conséquente samedi dernier.
Le "grand débat" se traduit par des milliers de réunions dans toute la France et sur internet, où le site www.granddebat.fr a reçu un million de visites et quelque 300.000 contributions, avec la justice fiscale en tête des revendications.
"Le débat prend une bonne tournure", se félicite lundi dans Sud-Ouest la ministre de la Cohésion des territoires, Jacqueline Gourault, une proche du président du MoDem François Bayrou qui a lui-même joué le jeu ce week-end dans sa ville de Pau.
Recueillies jusqu'au 15 mars, les doléances devraient déboucher sur des traductions concrètes de la part d'un exécutif dont la marge de manoeuvre budgétaire est limitée.
"TOUT ÇA POUR ÇA"
Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop, donne rendez-vous à la fin de l'exercice. "La crainte c'est le 15 mars : quid de la synthèse ?", a-t-il dit à Reuters.
"Ça ne sera pas tout ou rien : 100% de contents ou 100% de déçus mais on peut voir le levier de la tromperie à nouveau mobilisé par des opposants et/ou par des Français mécontents sur le thème 'tout ça pour ça'", a-t-il ajouté. "Donner la parole est un acte lourd et il faut donner le sentiment que ce qui a été dit a servi à quelque chose".
Un enjeu que l'impopulaire Emmanuel Macron, qui dit "marcher sur la glace" ne semble pas sous-estimer.
"Je prends très au sérieux ce moment que nous vivons", a-t-il confié à des journalistes dimanche soir au Caire, où il est en visite officielle. "Je ne sais pas aujourd'hui ce qu'il donnera, ce que je sais, c'est que j'en tirerai les conséquences profondes."
Le président participera de nouveau aux discussions jeudi et vendredi, notamment sur le cas particulier des outre-mer.
Lors d'une visite-surprise vendredi pendant un débat à Sartrouville (Yvelines), le Premier ministre Edouard Philippe n'a quant à lui pas caché ses réserves sur le référendum d'initiative citoyenne (R.I.C) réclamé par les "Gilets jaunes". "Si je devais le dire en une formule, je vous dirais que le R.I.C, ça me hérisse", a-t-il déclaré dans un sourire.
Lundi en Seine-et-Marne, le chef du gouvernement a mis en garde contre un abaissement des ambitions en annonçant que son choix de limiter la vitesse à 80 km/h sur certaines routes, vilipendé par les "Gilets jaunes", avait permis de sauver de très nombreuses vies humaines en 2018.
LA FISCALITÉ EN TÊTE DES PRÉOCCUPATIONS
Mais de tous les thèmes soulevés, c'est celui de la fiscalité qui semble tenir le haut du pavé, comme en témoignent par exemple les propositions (TVA, impôt sur la fortune, évasion fiscale, etc.) retenues lors de l'émission "Balance ton post" suivie vendredi soir sur C8 par plus d'un million de téléspectateurs, un record, selon Mediamétrie.
Le succès d'audience a fait taire en partie les critiques faites en amont sur la participation de la secrétaire d'Etat à l'Egalité femmes-hommes Marlène Schiappa à cette émission animée par Cyril Hanouna, qui a d'ailleurs lancé dans le Journal du dimanche une invitation à Emmanuel Macron.
L'implication directe du chef de l'Etat dans les débats rompt avec sa volonté affichée en début de quinquennat de garder distance et hauteur pour préserver la fonction présidentielle.
Mais pour Frédéric Dabi, il ne pouvait faire autrement que de descendre dans l'arène pour "renouer avec les Français et tenter de corriger son image d'arrogance et de distance qui transparaît dans les sondages".
Après des mois d'incertitudes face au déferlement de mécontentements et de violences liés aux "Gilets jaunes", la majorité s'est montrée soulagée devant l'engouement suscité par le "grand débat", tout en restant prudente.
"Ce qui doit primer, c'est la politique que l'on mènera après. On doit aller au-delà de ce pour quoi on a été élus", a dit à Reuters un député de l'aile "sociale" du groupe La République en marche à l'Assemblée, qui dit d'abord s'inquiéter de "la défiance démocratique, de tous ces Français qui rejettent la politique".
La liste "Gilets jaunes" en préparation pour les élections européennes de mai, débattue au sein du mouvement sans leader, est regardée avec bienveillance par l'exécutif, qui y voit un moyen d'affaiblir le Rassemblement national.
(Avec Marine Pennetier au Caire, édité par Yves Clarisse)