par Elizabeth Pineau
PARIS (Reuters) - De Nicolas Sarkozy à François Hollande, prompts à prodiguer leur vision de l'état du monde, en passant par Ségolène Royal, envisagée comme le recours d'un PS malade, une brise nostalgique souffle sur un paysage politique français en plein doute.
Alors qu'Emmanuel Macron chute dans les sondages d'opinion après 18 mois au pouvoir, interviews et commentaires de ceux que l'on pensait appartenir au passé en raison de l'irruption de La République en marche (LaRem) fleurissent.
Malgré un procès à venir pour corruption active, un autre renvoi en correctionnelle quasiment acquis dans l'affaire dite "Bygmalion" sur le financement de sa campagne électorale en 2012, une mise en examen dans le dossier du financement libyen de sa campagne de 2017 et une lourde défaite dès le premier tour de la primaire de la droite en 2016, Nicolas Sarkozy s'affiche en sage de la République dans un entretien fleuve publié la semaine dernière dans Le Point.
"Le pouvoir est dangereux, il peut devenir une drogue. Et un peu d'expérience ne nuit pas face aux dangers que les vapeurs du pouvoir peuvent générer", glisse l'ancien président dans une allusion limpide à Emmanuel Macron, 40 ans.
Mais, magnanime, "je m'abstiendrai de le critiquer", dit-il. "J'observe d'ailleurs qu'en matière de critiques il semble servi... Et c'est si facile de détruire. Donnons-lui le temps."
Les propos de celui qui reste la référence dans le coeur des militants les Républicains, assortis d'une analyse très présidentielle des problèmes du monde, a de quoi faire de l'ombre à l'actuel chef de file du parti Laurent Wauquiez, qui peine à percer dans les sondages, y compris dans son camp.
Mais Damien Abad, vice-président des Républicains (LR), veut croire qu'il n'y a là qu'une forme de "nostalgie".
"Il y a chez nous une adhésion encore forte à Nicolas Sarkozy, un amour réel des militants et peut-être aussi une forme de nostalgie. Maintenant, il faut regarder vers l'avenir, qui se construit avec Laurent Wauquiez", a-t-il dit à Reuters.
"IL FAUT ÊTRE CALME", CONSEILLE GISCARD
Remis en selle par son livre "Les Leçons du pouvoir", prétexte à plus de 80 séances de dédicaces depuis avril dans toute la France, François Hollande, lui, tacle régulièrement "l'injustice" de la politique menée par celui qui fut son protégé avant de s'engouffrer dans la brèche créée par son renoncement à briguer un second mandat.
"Quand on supprime cinq euros sur les APL, ça a des conséquences", déclarait-il encore le 4 octobre sur Public Sénat en référence à une baisse des aides au logement annoncée par l'actuel pouvoir durant l'été 2017.
Même Valéry Giscard d'Estaing, 92 ans, y va de ses conseils au nouveau locataire de l'Elysée, à qui certains observateurs aiment le comparer. "Il faut être calme. Il ne faut pas mettre les autres acteurs en situation d’agitation", déclarait le mois dernier sur Europe 1 celui qui dirigea la France de 1974 à 1981. "Un pays assez difficile à réformer", reconnaissait-il.
Ces prises de parole de personnalités "visiblement atteintes d'addiction politique" n'inquiètent pas le député LaRem Jean-Baptiste Djebbari.
"Il y a des paroles bienveillantes, d'autres qui sont dans une critique ou une dynamique beaucoup plus personnelle donc il faut faire le tri", a-t-il dit à Reuters.
"Que des personnes ayant eu des responsabilités parfois éminentes s'expriment et soient dignes d'intérêt me paraît tout à fait normal. J'y vois une nostalgie des fonctions qu'elles ont pu occuper mais je ne crois pas que l'envie de renouvellement politique soit affadi en France. Il y a au contraire une volonté d'accélérer encore le renouvellement en politique".
Pour le premier secrétaire du Parti socialiste (PS) Olivier Faure, l'intérêt de la presse pour des "clients fascinants" ne rejoint pas forcément celui des Français.
"Il suffit que certains ouvrent la bouche pour que les médias se précipitent à leur chevet. Mais il y a un décalage entre le monde médiatique et ce que les Français attendent, à savoir des solutions", a-t-il dit à Reuters.
BAYROU, AVOCAT DE MACRON
Dans le camp du nouveau patron du PS, pourtant, une figure du passé, Ségolène Royal, ressurgit comme potentielle tête de liste aux élections européennes, à l'instar de l'ancien député européen Daniel Cohn-Bendit, régulièrement cité pour jouer un rôle dans la perspective du scrutin du 26 mai 2019.
"Grande figure de la gauche et de l'écologie, Ségolène Royal est au carrefour d'interrogations que se posent des Français, notamment à gauche. Elle a un écho du fait de sa notoriété et du fait de ce qu'elle porte elle-même", a dit Olivier Faure à propos de celle qui fut la candidate du PS à l'Elysée en 2007.
Quant au président du MoDem François Bayrou, triple candidat à la présidentielle et éphémère ministre de la Justice en 2017, il est devenu, même s'il s'en défend, le meilleur avocat d'Emmanuel Macron dans les médias.
Les accusations sur le "manque d'humilité" proférées par l'ancien ministre de l'Intérieur Gérard Collomb ? "Il ne parlait pas d'Emmanuel Macron. Il parlait des milieux de pouvoirs à Paris", a-t-il affirmé dimanche sur France Inter.
L'impression que l'actuel chef de l'Etat est un homme des villes ? "Je sais qu'il est ami avec des bergers depuis très, très longtemps", a assuré le maire de Pau, 67 ans. "Il a avec les populations rurales et ouvrières un contact les yeux dans les yeux qui ne ressemble absolument pas à la caricature qui est faite de lui".
Le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, dont la cote dans les sondages monte en vue des européennes, a sa propre analyse de la résurgence de certaines figures du passé.
"Le nouveau monde a fait 'pschitt', c'est une escroquerie et il y a sans doute du côté de la presse le besoin de revenir à des valeurs sûres", a dit à Reuters le député de l'Essonne. "Pour autant il ne faudrait pas oublier qu'ils ont gouverné. On peut prendre des personnalités qui n'ont pas gouverné mais qui ont une expérience. Suivez mon regard...".
(Edité par Yves Clarisse)