par Simon Carraud
VERSAILLES, Yvelines (Reuters) - L'avocat général a demandé vendredi à la cour d'appel de Versailles de rejeter la demande de la Société générale, qui réclame à son ex-trader Jérôme Kerviel 4,9 milliards d'euros en guise de compensation d'un préjudice colossal subi en 2008.
Au terme de trois jours d'audience consacrés au seul volet civil de l'affaire, Jean-Marie d'Huy n'a pas retenu la thèse de la défense, selon laquelle la banque avait connaissance des risques pris par Jérôme Kerviel sur les marchés et lui a même donné sa bénédiction, au moins tacite.
Sans dédouaner l'ancien courtier, il a toutefois insisté sur les défauts de contrôle de la banque, les qualifiant de "faute".
"La Société générale a laissé en toute connaissance, non pas de cause mais des imperfections et des failles de son organisation, le champ libre aux volontés délictuelles de Jérôme Kerviel", a déclaré l'avocat général, qui s'est largement appuyé sur un rapport de la Commission bancaire datant de 2008.
"La Société générale a accepté dans le temps et la continuité, et quel qu'en soit le prix, les risques d'un sinistre qui ne peut s'expliquer que par un relâchement volontaire des règles (...) et la recherche d'un profit à court terme", a-t-il encore dit, avant d'en arriver à sa conclusion.
"Je sollicite le rejet de la demande de dommages et intérêts formulée par la Société générale", a-t-il requis en ajoutant qu'il s'agirait d'un "message fort" envoyé aux banques "pour éviter qu'à l'avenir de tels faits ne se reproduisent".
Jérôme Kerviel a exprimé sa satisfaction, même si la décision ne sera connue que le 23 septembre.
"Je n'en ai pas cru mes oreilles, ça fait huit ans que j'attends ça", a-t-il déclaré.
LA SOCGEN "SURPRISE"
Dans une déclaration écrite envoyée à Reuters, la Société générale s'est dite surprise par les réquisitions.
"Nous avons toujours reconnu les faiblesses et négligences de nos systèmes de contrôle, et les avons d’ailleurs corrigées, mais ce sont les agissements frauduleux de Jérôme Kerviel qui les ont mis en échec", explique la banque.
Le gouvernement a annoncé que la France demanderait à la Société générale de rembourser les 2,2 milliards d'euros de crédit d'impôt que l'Etat lui a accordé en raison de la perte enregistrée lors de l'affaire si la justice française suit l'avocat général de la cour d'appel de Versailles.
L'avocat général a mis à mal la stratégie de la banque, déjà ébranlée la semaine dernière au Conseil des prud'hommes de Paris, qui a condamné le géant bancaire à verser plus de 450.000 euros à son ex-courtier, licencié d'après elle "sans cause réelle ni sérieuse".
Les prud'hommes ont estimé que les faits justifiant son renvoi - la prise de positions non couvertes ayant mené à des pertes record en 2008 - étaient prescrits au moment de son licenciement pour faute lourde, le 12 février 2008.
Jusque-là, Jérôme Kerviel avait essuyé plusieurs défaites judiciaires depuis la tourmente déclenchée il y a huit ans, alors que les marchés étaient déjà fébriles, par les révélations sur ses dizaines de milliards d'euros de prise de position.
Au pénal, l'ancien trader a été condamné en première instance puis en appel à cinq ans de prison, dont trois fermes, et à verser à la banque l'équivalent du trou dans ses comptes.
UNE RÉVISION DU PROCÈS PÉNAL ?
La Cour de cassation a confirmé en 2014 le volet pénal - la peine de prison - mais rejeté la somme demandée par la Société Générale (PA:SOGN), en lui reprochant d'avoir failli dans ses mécanismes de contrôle. Le dossier a alors atterri à Versailles.
Durant les trois jours d'audience, la question a porté sur les responsabilités des uns et des autres: Jérôme Kerviel a-t-il agi seul, au mépris de toutes les règles ? A-t-il bénéficié d'un manque de vigilance ou d'un consentement de sa hiérarchie ?
Pour Jean Veil, l'un des avocats de la banque, "c'est un escroc, c'est quelqu'un qui abuse de la confiance".
La défense de l'ancien opérateur de marché, qui fait une lecture toute différente du dossier, estime que les juges ont été manipulés par la Société générale, les uns après les autres.
Jeudi, elle a diffusé à l'audience les extraits d'une conversation durant laquelle l'ex-vice-procureure de la République de Paris Chantal De Leiris, enregistrée à son insu, fait part de ses doutes sur l'instruction.
"Dans cette affaire, il y avait des choses en effet qui ne sont pas normales. Quand vous en parlez, tous les gens qui sont un peu dans la finance, ils rigolent", dit-elle dans lors de cet échange avec une ex-enquêtrice de la Brigade financière qui a suivi l'enquête, Nathalie Le Roy.
Sur la foi notamment de cet enregistrement, les avocats de Jérôme Kerviel, David Koubbi en tête, espèrent obtenir auprès de la Cour de révision une reprise du procès pénal à zéro.
(Simon Carraud, édité par Yves Clarisse)