Les monnaies digitales sont intrinsèquement liées à l’histoire d’Internet. Bitcoin (BTC-eUSD) a connu la renommée que certains de ses prédécesseurs lointains, comme eCash ou encore eGold, n’ont pas connu. L’intérêt croissant d’une communauté hétéroclite composée d’investisseurs, de développeurs et de geeks pour le Bitcoin a aussi éveillé la suspicion des autorités de plusieurs pays. Présenté comme un effet de mode par certains, il est considéré par d’autres comme la nouvelle technologie disruptive en mesure de renouveler la finance et les systèmes de paiement. Décryptage par Christopher Dembik, Economiste de Saxo Banque.
Depuis les débuts d’Internet, il faisait consensus qu’une certaine forme de monnaie digitale serait, un jour, en mesure de révolutionner les technologies existantes et les échanges dans l’économie réelle. On peut ainsi voir une filiation assez directe entre les systèmes de paiement anonymes qui sont apparus à partir de la fin des années 90, comme eCash et eGold, et Bitcoin de nos jours.
L’une des principales spécificités du Bitcoin est qu’il s’agit à la fois d’un protocole de paiement et d’une crypto-monnaie qui a séduit, en l’espace de seulement quelques années, la sphère financière et même certains entrepreneurs innovateurs. Pourtant, à ses débuts en 2008, Bitcoin restait cantonné à un petit cercle d’initiés, essentiellement des développeurs intrigués par son algorithme. On les appelle les « mineurs », ce sont les membres de la communauté qui font fonctionner, au quotidien, le système B itcoin et valident les transactions. Ils sont pour ainsi dire les architectes du réseau.
L’audience du Bitcoin s’est réellement élargie en février 2011. Quelques jours après que le cours de la monnaie virtuelle ait atteint la parité avec le dollar américain, un article de Forbes Magazine lui était consacré. C’est réellement à partir de ce moment-là, bien qu’il y ait eu encore par la suite des à-coups, que le Bitcoin est entré dans le débat public. A en juger par l’intérêt qu’il éveille de nos jours, il risque de ne plus en sortir.
Les lacunes du Bitcoin
On a tous, en effet, en mémoire les nombreux articles de la presse financière, notamment au cours de l’année 2013, faisant état des sursauts et soubresauts du cours du Bitcoin. Cotant à 13 USD en décembre 2012, le Bitcoin grimpe à 1000 USD en novembre de l’année suivante avant de chuter autour de 500 USD en mai 2014. Le tout, avec des fluctuations journalières régulièrement de + ou – 10% dont les causes sont difficilement identifiables. C’est cet aspect, la volatilité, qui a retenu l’attention du grand public et a attiré massivement les spéculateurs qui y voient un moyen tentant de gagner de l’argent.
L’innovation financière n’a pas tardé à s’engouffrer dans la brèche avec des courtiers proposant déjà des produits dérivés pour trader le Bitcoin, mais le risque pris par l’investisseur demeure, en dépit de cette évolution, toujours très élevé.
Le Bitcoin n’ayant pas de valeur intrinsèque, il a seulement la valeur que veut bien lui donner le marché, reflet des flux spéculatifs et, également, de la structure opaque de détention des Bitcoins qui n’exclut pas les phénomènes de cartel. Comme de nombreuses nouvelles innovations financières non régulées, le Bitcoin n’a pas échappé à l’accusation de manipulation des prix par un groupe d’investisseurs avisés.
Dans ces conditions, le Bitcoin ne peut pas légitimement inspirer la confiance et être considéré comme une source fiable de réserve de la valeur. La faillite de la plus ancienne plateforme de transaction et de stockage en 2014, MtGox, et plusieurs autres incidents, dont des hacks aux quatre coins du monde, ont par ailleurs souligné les fragilités inhérentes du système. Ce qui a fait la force des débuts, à savoir l’anonymat et l’absence de régulation, sont désormais des obstacles à une adhésion plus larges des acteurs financiers et des agents économiques au Bitcoin.
L’enjeu de la régulation
Les Etats, qui n’ont pas tous accueilli à bras ouvert cette nouvelle technologie remettant en cause directement leur monopole d’émission de la monnaie, ont souvent utilisé comme excuse l’anonymat des transactions pour accuser le Bitcoin d’être un véhicule de blanchiment de l’argent.
Seuls la régulation et l’abandon des principes libertaires qui ont porté le Bitcoin à son origine seront en mesure de permettre à la monnaie virtuelle de s’imposer durablement dans le paysage financier. L’adhésion populaire viendra avec la transparence des échanges et la mise en place de garanties sur les échanges et le stockage, à l’image de ce qui est offert pour les dépôts bancaires en France. Une régulation au niveau européen, voire du Fonds Monétaire International, qui assez curieusement ne s’est pas encore exprimé sur le sujet, sera la planche de salut des monnaies virtuelles.
Qu’on se le dise, tout ce qui peut être régulé va finir par l’être dans la sphère financière. Il convient de s’habituer à cela, qu’on le veuille ou non.
Tout un champ des possibles en finance
Malgré les défis de taille auquel fait face le Bitcoin, on ne peut pas nier qu’il a permis d’ouvrir de nouvelles portes dans la finance et qu’il pourrait susciter d’autres innovations dans les années à venir.
L’impact de la monnaie virtuelle est déjà d’ailleurs perceptible puisque le Bitcoin a poussé les grands acteurs, comme les banques et les sites de commerce en ligne, à améliorer leurs systèmes de paiement. La technologie du Bitcoin pourrait, prochainement, s’intégrer dans la stratégie des banques pour étoffer leurs services et offrir à leurs clients des coûts de transaction encore plus compétitifs, ce qui est loin d’être le cas de nos jours, en particulier pour les PME. Tout un champ des possibles s’ouvre ainsi mais qui reste difficile à développer tant les oppositions sont nombreuses du côté des certains milieux financiers et des régulateurs.
Peu importe au final si le Bitcoin disparait à terme. La monnaie virtuelle constitue une révolution technologique indéniable qui a provoqué un changement de paradigme dans la finance et le monde du crédit. Déjà, la technologie du Bitcoin a été dupliquée et améliorée pour une dizaine d’autres monnaies digitales. Litecoin en tête. Leur survie dépendra de leur capacité à s’adapter au cadre réglementaire, quitte à le faire évoluer. C’est le seul réel enjeu.