La tournure des événements chez Air France plongée dans une profonde crise sociale suscite de vives inquiétudes chez son partenaire néerlandais KLM et creuse les différends dans le mariage de raison qui unit les deux compagnies aériennes.
Alors que le transporteur tricolore nage en eaux troubles, fragilisé par un mouvement de grève qui a provoqué le départ du PDG du groupe, le laissant vulnérable dans un ciel ultra-concurrentiel, les salariés de KLM sont lassés et en colère.
La crise met en lumière les profondes différences culturelles et sociales entre les deux pays : les Néerlandais ne sont pas habitués aux conflits sociaux qui tournent aux rapports de force entre direction et syndicats.
"Demander une hausse du haut d'une barricade en remuant un drapeau est absurde", s'exclame Robert Swankhuizen, à la tête du syndicat national des mécaniciens au sol NVLT de KLM, fervent partisan du "compromis", caractéristique de l'état d'esprit néerlandais.
"En discutant calmement on arrive toujours à quelque chose", déclare-t-il à l'AFP.
Quant au départ du patron du groupe, Jean-Marc Janaillac, désavoué par les salariés français, il est tout aussi "incompréhensible" que "stupide" aux yeux des salariés de KLM. "Avec lui, KLM a prospéré. Il va manquer au groupe, c'est quelqu'un de très ouvert", poursuit M. Swankhuizen.
- Les "dindons de la farce" -
La pilule est difficile à avaler pour la compagnie néerlandaise qui voit ses bénéfices s'évaporer au fur et à mesure que le conflit se prolonge à Air France. Les mauvais résultats du groupe au premier trimestre sont exclusivement dus à la compagnie française.
Air France-KLM (PA:AIRF) affiche une perte d'exploitation de 118 millions d'euros, dont 178 pour Air France quand KLM affiche un bénéfice d'exploitation de 60 millions. La grève a pesé à hauteur de 75 millions.
"Il ne peut pas y avoir KLM la fourmi et Air France la cigale, ça ne pourra pas durer", a déclaré lundi sur la radio France Inter Richard Ferrand, chef de file des députés du parti du président Emmanuel Macron.
Alors que le gouvernement français a averti que l'Etat ne viendrait pas à la rescousse du transporteur, la ministre des Transports Elisabeth Borne s'est entretenue avec son homologue des Pays-Bas au téléphone lundi soir pour évoquer l'avenir du groupe, selon les médias néerlandais.
L'intersyndicale d'Air France réclame 5,1% d'augmentation en 2018, après six ans de gel des grilles salariales, des exigences "irresponsables", selon Robert Swankhuizen.
"Les compagnies du Golfe n'attendent que ça pour venir grappiller des parts de marchés en Europe", prévient-il.
"Jusqu'où allons nous accepter la situation? Nous sommes les dindons de la farce et pris en otage", lâche le syndicaliste néerlandais.
- "nous sommes agacés" -
En juillet, une enquête réalisée par les syndicats franco-néerlandais auprès de cinquante managers de la compagnie aérienne avait déjà révélé "une grande méfiance mutuelle" entre Air France et KLM, chaque partie accusant l'autre de laisser passer ses propres intérêts avant ceux du groupe.
Mais les différends culturels ou sociaux "sont propre à tout mariage, de surcroît lorsqu'il s'agit d'une union entre deux grands groupes internationaux", raisonne Leen van der List, dirigeant du syndicat FNV, le plus important des Pays-Bas.
Les différences sont "toujours surmontables", abonde Robert Swankhuizen. "A condition qu'il y ait des progrès sur la communication entre les syndicats et la direction en France", glisse-t-il.
Mais si le mariage avec les Français bat de l'aile, les Néerlandais ne demandent pas pour autant le divorce.
"Cette union est nécessaire pour les deux parties. Nous sommes agacés, mais sans ce mariage, nous ne serions plus là", souligne M. van der List.
"Nous pouvons nous plaindre et taper des pieds mais nos deux groupes sont tellement liés, et il ne faut pas oublier que KLM est devenue ce qu'elle est grâce à cette fusion", ajoute M. Swankhuizen.
Et quand bien même KLM souhaiterait tracer sa route seule, la compagnie néerlandaise ne disposerait pas du choix, rappelle Jan-Willem van Dijk, président du comité d'entreprise de KLM.
"La fusion des deux groupes en 2004 était en fait davantage une acquisition. Le patron, c'est Air France", souligne-t-il, cité par le quotidien néerlandais de référence De Volkskrant.
"Dans tous les cas", sourit Robert Swankhuizen, "l'Etat français ne laissera pas partir la poule aux oeufs d'or".