Les attentats meurtriers de Paris ont poussé des grandes entreprises françaises à réévaluer leur dispositif de sécurité face à une menace désormais tangible, avec un équilibre délicat à trouver entre mesures nécessaires et surenchères sécuritaires.
"La menace a clairement changé", témoigne Maurice Dhooge, directeur de la sécurité chez Schneider Electric (PA:SCHN). "En France elle ne concerne plus seulement les entreprises stratégiques comme Airbus (PA:AIR) ou Thales (PA:TCFP)".
"A l'origine, la sécurité d'entreprise servait à la protection des expatriés dans les pays sensibles. Ce qui est nouveau c'est que les attaques se passent maintenant en plein Paris", a-t-il souligné, lors d'un colloque organisé jeudi au siège parisien de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Attaque d'un centre commercial (comme en septembre 2013 à Nairobi, au Kenya), cyberattaque, attaque bactériologique ou même nucléaire... : en ouverture des débats, Alain Juillet, président du Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE) qui organisait le colloque, a dressé une liste de menaces particulièrement anxiogène.
Schneider, pour sa part, a durci ses dispositifs de protection, sans pour autant passer au niveau d'alerte maximum. Les contrôles d'accès ont été renforcés. Les visiteurs qui ne sont pas attendus restent dehors, en attendant l'arrivée de leurs interlocuteurs.
Les agents de sécurité font aussi ouvrir certains coffres de voiture, ce qui n'était pas le cas avant. "Il faut que les gens voient qu'il y a un changement mais qu'on en a encore sous le pied", explique Maurice Dhooge.
A la SNCF et à la RATP, la nouvelle loi sur la sécurité dans les transports, examinée à partir de mercredi à l'Assemblée, pourrait permettre aux agents de sécurité d'effectuer des palpations et de fouiller les bagages avec l'accord des voyageurs.
"Mais il n'y a pas de confusion des genres", veut rassurer Stéphane Volant, secrétaire général à la SNCF. Opposé à une privatisation de la sécurité, le dirigeant appelle à la complémentarité des agents SNCF avec la police car "l'Etat doit assumer son rôle".
"Nous n'avons par exemple pas vocation à être destinataires des fiches S", considère-t-il à propos des fiches administratives de renseignement où sont signalés entre autres les individus radicalisés.
Chez Carrefour (PA:CARR), le responsable des risques Xavier Guizot insiste sur le lien entre la perception des clients sur la sécurité de l'enseigne et son succès commercial.
Selon lui, "75% des clients changent de magasin s'ils ne sentent pas en sécurité". Après les attentats, il a été consulté tous les quatre jours par son PDG Georges Plassat pour renforcer les mesures de contrôle, sans qu'elles ne deviennent trop envahissantes pour la clientèle.
- Accompagner les salariés -
Car comme plusieurs dirigeants l'ont souligné jeudi, sécurité et sérénité doivent aller de pair.
Dans les grands magasins du boulevard Haussmann à Paris, les fouilles systématiques des sacs, très bien acceptées quelques jours après les attentats, peuvent maintenant être source d'agacement ou de tension, estime un responsable, qui souhaite rester anonyme.
Pascal Crepin, directeur de la sûreté chez Air Liquide (PA:AIRP), souligne justement combien les équipes de sécurité doivent accompagner les salariés une fois le choc et l'émotion des attentats atténués.
Chez ce producteur de gaz industriels, "l'électrochoc", comme il l'appelle, a eu lieu quelques mois avant les 130 morts des attentats de Paris, lors d'une attaque chez un groupe concurrent Air Products, le 26 juin.
Ce jour-là, un terroriste tente de faire exploser le site industriel de Saint-Quentin-Fallavier dans l'Isère, après avoir décapité son patron.
"Cet attentat a représenté un tsunami d'émotions pour nos salariés qui ont compris que ce type d'incidents était à nos portes", raconte Pascal Crepin. "Mais une fois l'émotion retombée, il a été beaucoup plus difficile de se faire entendre sur les attitudes et les comportements à adopter".
De nombreuses entreprises semblent loin d'avoir pris la mesure des enjeux. Le CDSE estime ainsi que seulement 20% des entreprises sont dotées d'un service ou d'un responsable dédié à la sécurité des salariés, trop souvent considéré comme un coût plutôt qu'un investissement.