Birmanie: les rubis, un joyau aux mains des militaires

Publié le 04/01/2017 10:26
Des mineurs fouillent la terre dans une mine de rubis à Mogok, au nord de Mandalay, le 24 novembre 2016 (Photo Ye Aung THU. AFP)

Des mineurs fouillent la terre dans une mine de rubis à Mogok, au nord de Mandalay, le 24 novembre 2016 (Photo Ye Aung THU. AFP)

Aye Min Htun ne cesse de prier pour trouver le rubis qui changera sa vie. C'est son seul espoir de voir ses conditions de mineur évoluer dans un secteur birman qui reste cadenassé par les militaires.

Pendant des siècles, les rois se sont battus pour contrôler la vallée de Mogok, au nord de Mandalay, dans le centre de la Birmanie aujourd'hui. Cet endroit était autrefois connu sous le nom de "terre des rubis".

Le rubis dit "Sang de Pigeon", que l'on trouve uniquement dans cette région reculée de la Birmanie, est l'une des pierres précieuses les plus rares et les plus chères au monde. L'an passé, l'un de ces joyaux, le Sunrise, a été vendu au prix record de 30,3 millions de dollars.

Aujourd'hui, le pays produit plus de 80% des rubis du monde, mais ce secteur reste très opaque après des décennies de dictature militaire et d'isolation.

Cette situation sera difficile à changer, même avec la levée récente des sanctions américaines sur cette industrie. Pour saluer la mise en place d'un gouvernement civil emmené par Aung San Suu Kyi, Barack Obama a levé en octobre les dernières barrières qui avaient été mises en place en 2003 et qui interdisaient l'importation des pierres précieuses aux Etats-Unis.

Mais les experts craignent que cette décision ait pour effet principal de remplir les poches des militaires et de leurs proches, grands vainqueurs jusqu'ici du développement de ce secteur.

- Glissements de terrain -

La vallée de Mogok a pris des allures lunaires tant le sol est troué par les mines. Mais les habitants profitent peu des retombées financières.

Aye Min Htun gagne en moyenne moins de 200 dollars par mois en travaillant dans l'une des mines à ciel ouvert du fond de la vallée.

"Mon rêve est de créer une entreprise si je réussis dans l'exploitation minière", explique le jeune homme de 19 ans. "Je crois aux esprits et je prie pour qu'ils me donnent une grosse pierre très pure".

Derrière lui, une dizaine d'hommes s'affairent armés de grands tuyaux qui projettent de l'eau à haute pression afin de déloger la terre sur les côtés du cratère. Elle est ensuite triée sur des tables en bois par des travailleurs qui circulent pieds nus.

Ce travail est dangereux, la sécurité est minimale et les glissements de terrain sont fréquents: la terre tremble régulièrement à cause de la dynamite utilisée pour creuser de nouvelles galeries.

La mine où travaille Aye Min Htun est détenue par la Myanmar Gems Enterprise (MGE), une société publique dirigée par d'anciens militaires qui était jusqu'en mai sur la liste noire des Etats-Unis. MGE possède des mines et est aussi le régulateur du secteur qui délivre les licences d'exploitation.

Mais dans ce secteur très gardé, le vrai poids lourd est la Myanmar Economic Corporation (MEC), une holding militaire qui détient des coentreprises dans près de 100 mines à Mogok, d'après un rapport de l'Initiative pour la transparence des industries extractives (EITI) - une ONG qui scrute l'utilisation par les pays de leur richesses minière, pétrolière ou gazière.

La Myanmar Gems Enterprise a décliné tout entretien avec l'AFP et aucune réaction n'a pu être obtenue auprès de la MEC.

- Liens avec les guérillas -

Dans le centre touristique de Mandalay, les revendeurs espèrent une arrivée massive d'acheteurs américains.

"Le prix des rubis va augmenter dans les trois ou six prochains mois", veut croire Khine Khine Oo devant son stand de pierres précieuses sur le marché de la ville. Il s'attend à 30% de hausse, voire 50%.

Encouragé par les prises de contact des premières entreprises américaines, les revendeurs ont déjà commencé à faire des stocks.

Quelques semaines après l'annonce de la fin des sanctions, l'American Gem Trade Association a envoyé une délégation à Mogok.

Les groupes américains vont "travailler avec des revendeurs autorisés" et "chercher à vérifier que les pierres précieuses qu'ils achètent sont extraites de façon responsable", affirme Douglas Hucker de l'American Gem Trade Association.

Pour freiner l'exploitation sans limites, le gouvernement birman a imposé un moratoire sur les nouvelles licences minières. Les entreprises doivent maintenant se conformer à des réglementations environnementales censées être plus strictes pour obtenir des permis - mais on ignore encore les contours précis de ces nouvelles règles.

Certaines ONG qui surveillent le secteur, comme la britannique Global Witness, appellent les investisseurs américains à être vigilants sur les conditions de travail des mineurs en Birmanie.

Depuis des décennies, la vente de pierres précieuses birmanes est une manne importante pour les groupes armés en guerre contre l'Etat central dans les régions frontalières.

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