Le candidat de l'opposition Ekrem Imamoglu a réédité dimanche sa victoire aux municipales d'Istanbul après l'annulation du premier scrutin, infligeant au président Recep Tayyip Erdogan son pire revers électoral en 17 ans et provoquant des scènes de liesse dans la capitale économique turque.
Selon les résultats partiels publiés par l'agence étatique Anadolu après dépouillement de plus de 99% des bulletins, M. Imamoglu a obtenu 54% des voix contre 45% pour le candidat de M. Erdogan, l'ancien Premier ministre Binali Yildirim.
Cette élection s'est déroulée près de trois mois après les municipales du 31 mars, gagnées à Istanbul par M. Imamoglu avec seulement 13.000 voix d'avance sur M. Yildirim. Dimanche il a obtenu près de 800.000 voix de plus que son rival, selon les résultats provisoires.
L'élection de mars avait été invalidée après des recours du parti islamo-conservateur du président, l'AKP, arguant d'"irrégularités massives". L'opposition avait dénoncé un "putsch contre les urnes", présentant le nouveau scrutin comme une "bataille pour la démocratie".
Cette fois, M. Yildirim a promptement concédé sa défaite. "Je le félicite et je lui souhaite bonne chance. J'espère qu'il servira bien Istanbul", a-t-il déclaré en début de soirée.
La victoire de M. Imamoglu a provoqué des scènes de liesse rarement vues ces dernières années à Istanbul, ville frappée par des attentats et la tentative de coup d'Etat du 15 juillet 2016.
Concerts d'avertisseurs, groupes de jeunes agitant des drapeaux dans les rues, danses traditionnelles improvisées au milieu des voitures : la ville semblait partie pour une nuit d'ivresse.
"Je n'ai pas été aussi heureuse depuis des années !", s'exclame Ilayda, une Stambouliote âgée de 30 ans, arborant un sourire jusqu'aux oreilles. Et de lancer le slogan phare de la campagne Imamoglu : "Tout ira bien !"
- "Défaite colossale" -
S'exprimant dans la soirée, M. Imamoglu, issu du parti kémaliste CHP (social-démocrate), a estimé que sa victoire marquait "un nouveau début pour la Turquie" et invité M. Erdogan "à travailler en harmonie" pour "servir Istanbul".
Le chef de l'Etat, qui avait milité pour l'annulation du scrutin de mars, a félicité M. Imamoglu dimanche soir, signalant qu'il acceptait le résultat.
"C'est une défaite colossale pour Yildirim, mais aussi pour Erdogan", estime Berk Esen, professeur associé à l'université Bilkent, à Ankara. "Son pari s'est retourné contre lui".
Car bien plus qu'une élection municipale, le vote à Istanbul avait valeur de test pour la popularité de M. Erdogan et de son parti sur fond de graves difficultés économiques.
"Qui remporte Istanbul remporte la Turquie", a coutume de dire le président, marquant l'importance de cette ville de plus de 15 millions d'habitants, capitale économique du pays, dont il avait été élu maire en 1994 et que son camp contrôlait depuis lors.
Des dizaines de partisans de l'AKP se sont rassemblés devant le siège du parti à Istanbul après l'annonce des résultats, certains les larmes aux yeux.
"C'est une leçon pour nous, on doit tirer les enseignements", a déclaré un partisan de l'AKP, Ali Kasapoglu.
- Mobilisation vaine -
En mars, l'AKP avait également perdu la capitale Ankara après 25 ans d'hégémonie des islamo-conservateurs, pénalisé par la situation économique difficile, avec une inflation à 20%, un effondrement de la livre turque et un chômage élevé.
Le chef de l'Etat, qui avait jeté toutes ses forces dans la bataille en mars, s'est montré cette fois plus en retrait, ne descendant dans l'arène que dans les derniers jours et minimisant l'importance du nouveau vote qu'il a qualifié de "symbolique".
La défaite de dimanche est d'autant plus cinglante que L'AKP avait battu le rappel des électeurs conservateurs, mais aussi des Kurdes pour tenter de l'emporter.
Ces derniers, considérés comme les "faiseurs de roi", ont fait l'objet d'une féroce bataille. L'AKP a adouci sa rhétorique sur la question kurde ces dernières semaines et M. Yildirim est allé jusqu'à évoquer le "Kurdistan", un mot tabou dans son camp.
Le principal parti prokurde HDP a appelé, comme en mars, à voter pour M. Imamoglu, ignorant un surprenant appel à la neutralité lancé par le chef historique du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan, depuis sa prison.