Le quotidien montréalais La Presse, plus que centenaire, compte maintenant sur la philanthropie et les aides publiques pour survivre, après avoir cherché son salut sur le tout numérique gratuit et abandonné le papier.
La famille Desmarais, les propriétaires du journal, a annoncé mardi à plus d'un demi millier de salariés leur retrait d'un journal acheté en 1967 et promis à devenir d'ici quelques mois un organisme sans but lucratif (OSBL).
Depuis plusieurs mois un acheteur s'était pourtant déclaré mais les propriétaires de Power Corporation --avec des intérêts dans le monde entier comme l'assureur Great-West, le cimentier LafargeHolcim (PA:LHN) ou le pétrolier Total-- ont choisi de créer une OSBL.
A la fondation de cette entité, les Desmarais feront un don défiscalisé de 50 millions de dollars canadiens (32,5 millions d'euros), après avoir financé les 40 millions du développement en 2013 de l'édition du journal sur tablette et épongé les pertes pendant plusieurs années sans jamais donner les chiffres.
Pour Guy Crevier, éditeur de La Presse, les chiffres sont souvent "fantaisistes" tout en reconnaissant "des pertes liées à la transformation et des pertes opérationnelles".
L'objectif au lancement de l'édition numérique était de drainer des recettes publicitaires suffisantes pour assurer l'équilibre du journal. Guy Crevier n'en démord pas, cette édition numérique "La Presse n'est pas un échec".
Mais avec en moyenne 260.000 téléchargements déclarés chaque jour, sur environ un demi million de tablettes équipées de l'application, les recettes publicitaires ne suivent pas les charges.
La grosse part des 6,3 milliards des revenus publicitaires numériques au Canada ne va pas aux journaux car, selon le président de La Presse Pierre-Elliott Levasseur, les géants de l'internet Google (NASDAQ:GOOGL) et Facebook (NASDAQ:FB) en "siphonnent 90%".
Plutôt que de changer leur stratégie du tout gratuit, les responsables du journal veulent faire appel aux dons et au coup de pouce du gouvernement.
- Non au modèle payant -
"Nous n'avons pas l'intention de retourner à un modèle payant", a déclaré Pierre-Elliott Levasseur. Des études ont montré, selon lui, qu'au mieux 100.000 abonnés seraient prêts à payer 5 dollars par mois et c'est trop peu pour faire vivre une salle de rédaction parmi les plus importantes des journaux au Canada.
"Ce serait dévastateur sur le modèle d'affaires", a-t-il dit en voulant "s'inspirer" de l'exemple du Guardian, le quotidien britannique, qui a élargi son audience tout en faisant appel aux dons.
Pour être viable, La Presse compte sur un coup de pouce du gouvernement avec des incitations fiscales sur des "concepts de philanthropie, en plus d'une aide directe", a indiqué le journal.
La ministre canadienne du Patrimoine canadien (Culture) Mélanie Joly a assuré mardi être en discussions avec La Presse "depuis plusieurs mois". Le gouvernement est "prêt à explorer des nouveaux modèles pour permettre les dons philanthropiques aux médias".
Si un organisme à but non lucratif est une bonne idée "pour convaincre les donateurs", le plus difficile sera d'en attirer car dans ce domaine les mentalités au Québec sont frileuses, a estimé Colette Brin, spécialiste des médias à l'université Laval de Québec.
Le donateur veut s'assurer que sa contribution aille à un contenu du type enquête journalistique plutôt que sur des contenus promotionnels destinés aux annonceurs, a-t-elle expliqué en substance.
L'aide du gouvernement devrait se faire sous forme de crédit d'impôt pour les donateurs comme c'est le cas pour les associations caritatives ou les fondations.
Assez rare dans le secteur des médias, "la philanthropie est souvent un aveu d'échec", a analysé Colette Brin à l'AFP.
A l'instar des médias scandinaves, "le contenu payant aurait dû s'imposer" au prix d'une concertation entre tous les acteurs.
Perçu avec son édition numérique gratuite comme un précurseur face à l'effondrement des journaux papiers depuis près de deux décennies, La Presse avait réussi à vendre sa technologie au Toronto Star. Mais le plus grand quotidien canadien a reconnu l'échec d'un modèle en mettant fin à l'aventure quelques mois après.