Le Brésil est plongé dans un chaos politique sans précédent alors que sa présidente Dilma Rousseff s'achemine vers une probable destitution, et pourtant les marchés s'enthousiasment à nouveau pour le géant émergent d'Amérique latine.
Car pour les fonds d'investissement, les fabricants d'automobiles et les géants de l'industrie minière, le Brésil ce n'est pas seulement la samba, les bikinis et les jeux Olympiques.
C'est aussi la première économie de la région, la septième mondiale, un important producteur de biens, d'aliments et de matières premières, et le foyer de 204 millions de consommateurs.
"Même s'il a des problèmes, c'est un pays trop grand pour être ignoré", explique Joao Augusto Neves de Castro, directeur Amérique latine au cabinet de consultants Eurasia Group.
Pourtant, politiquement, "c'est la pagaille", note Mark Weisbrot, co-directeur du Centre pour la recherche économique et politique, à Washington, qui critique "un gouvernement à la légitimité douteuse".
Le Sénat a ouvert jeudi le procès final en destitution de Dilma Rousseff, 68 ans. La dirigeante de gauche, accusée notamment de maquillages des comptes publics, devrait, sauf surprise, être évincée définitivement la semaine prochaine.
Son vice-président Michel Temer, déjà président par intérim, garderait alors les manettes jusqu'à fin 2018, mais beaucoup de Brésiliens se plaignent de ne pas avoir voté pour lui (même s'il faisait partie du ticket présidentiel avec Mme Rousseff). Encore moins pour les mesures d'austérité et réformes structurelles qui s'annoncent.
- 'Une vraie pagaille' -
Les analystes ne se font pas beaucoup d'illusions, prédisant déjà que Michel Temer pourrait être le prochain à tomber pour corruption, dans le cadre du méga-scandale autour du géant pétrolier public Petrobras.
Trois de ses ministres accusés dans ce dossier ont démissionné.
"En effet, la crise politique est une vraie pagaille", dit l'analyste Jimena Blanco, responsable de la section Amériques chez le consultant britannique Verisk Maplecroft, et "le gouvernement actuel est aussi très entaché par les accusations de corruption".
Mais Michel Temer - seul capable de relancer l'économie selon ses partisans - fait les yeux doux aux marchés, promettant de réduire les dépenses, de repousser l'âge de départ à la retraite, d'assouplir la législation du travail.
Malgré le chaos politique, les investisseurs misent donc à nouveau sur le Brésil, surtout depuis qu'une sortie de Dilma Rousseff est devenue possible: depuis janvier, le real a grimpé de 25% par rapport au dollar. La Bourse de Sao Paulo s'est envolée de 35%. La prime de risque des obligations à 10 ans, thermomètre de l'aversion du marché pour un pays, a chuté de 28%.
Et les spécialistes de la finance ne semblent pas se soucier de la faible popularité de M. Temer (14% selon Datafolha).
"Je ne crois pas qu'ils y font attention. Ils se concentrent vraiment sur les profits à court terme", souligne Mark Weisbrot.
Les investissements étrangers directs ont approché 64,7 milliards de dollars en 2015, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. Pour 2016, la Banque centrale en attend 70 milliards.
Cette année, le pays qui a le plus misé sur le Brésil a été la Chine, qui a acquis pour environ 4 milliards de dollars d'actifs, selon l'agence Bloomberg.
- Récession historique -
Le prédécesseur et mentor de Mme Rousseff, Luiz Inacio Lula da Silva, lui aussi du Parti des travailleurs (PT, gauche), avait largement surfé sur le boom économique du Brésil.
A l'époque, les marchés applaudissaient le "miracle" brésilien. Pendant ses 13 ans au pouvoir, le PT a sorti des dizaines de millions d'habitants de la pauvreté.
Moins appréciée des marchés, Dilma Rousseff a en outre dû affronter une récession qui s'annonce comme la pire qu'ait connu le Brésil depuis les années 1930 : le PIB a chuté de 3,8% l'an dernier et selon le Fonds monétaire international (FMI), il perdra 3,3% cette année.
"Elle n'a pas eu le soutien politique suffisant au Parlement pour prendre les mesures nécessaires face à la crise", estime Jimena Blanco.
Mme Rousseff dénonce justement un "coup d'Etat" parlementaire ourdi par ses rivaux qui ont paralysé au Parlement son programme d'austérité, annoncé après sa réélection difficile fin 2014.
Aujourd'hui "la différence est que la coalition derrière Michel Temer fonctionne bien".
Et "pour (le bien de) l'Amérique latine, nous avons besoin que le Brésil renoue avec la croissance", confie Ramon Aracena, économiste en chef de l'Institut de finance internationale, car "s'il va bien, il entraîne avec lui les autres économies" de la région.