A l'usine Renault (PA:RENA) de Flins (Yvelines), les ouvriers ont pu prendre la parole et permis de régler ainsi des centaines de problèmes quotidiens. Malgré les difficultés, cette expérience innovante a porté ses fruits, redonné de la motivation, mais apparaît aujourd'hui menacée.
L'expérimentation, lancée en 2012 dans l'unité de montage des portes puis progressivement étendue à toute l'usine, a été mise en oeuvre avec le laboratoire de psychologie du travail du Centre national des arts et métiers (Cnam).
Le principe était de confier à des ouvriers "référents", élus par leurs pairs, la responsabilité de faire remonter les problèmes rencontrés quotidiennement (aménagement du poste de travail, produits des fournisseurs ...), afin de les résoudre rapidement.
Exemple, des tables élévatrices ont été installées pour soulager le dos d'opérateurs ou un problème de gicleurs, "qui arrivaient emmêlés et faisaient perdre un temps fou" a été réglé, rapporte Yassine Aldidi, délégué CFDT de l'usine. Et "quand les problèmes avancent, ça redonne de la motivation", témoigne-t-il.
L'idée semble avoir fait ses preuves. Elle a permis "des progrès indéniables sur la qualité des véhicules sortis. Les retouches sont moindres, les salariés plus contents", assure Franck Daoût, coordinateur CFDT dans le groupe.
D'après la direction de l'usine, citée par le groupe de réflexion Terra Nova (proche du PS), "l'accidentabilité a diminué de plus de moitié et l'absentéisme s'améliore de façon spectaculaire" au département montage. Lors d'un comité national de suivi début octobre, le bilan faisait état de plus de 3.300 problèmes remontés dont 62% "traités".
"Pour la première fois, les salariés ont eu le sentiment que leur parole n'était peut-être pas inutile", souligne Fabien Gâche (CGT).
Cet exemple d'organisation a fait la preuve que "donner de l'autonomie" aux salariés permet d'améliorer "la qualité de vie au travail" et la "performance", soulignait récemment Terra Nova.
Et pourtant depuis un an, "le dispositif est étouffé, selon Fabien Gâche, car les référents sont de moins en moins autorisés à sortir des chaînes" pour travailler à la résolution des problèmes.
La CGT accuse Renault de "bloquer" le dispositif, "miroir réfléchissant de la difficulté croissante à faire un travail de qualité, d'une santé dégradée et de la précarité" et de "standards de production inapplicables, posant problème".
- L'usine de Flins fera-t-elle école ? -
Depuis que les psychologues du Cnam ne sont plus physiquement dans l'usine, "les mauvaises habitudes reviennent", constate Franck Daoût.
Avec l'embellie des ventes et la montée des cadences, le dispositif représente "une charge de travail en plus" que les "managers overbookés" ont vite fait de mettre "de côté", relève Laurent Smolnik, représentant FO.
Le dispositif rencontre aussi des réserves chez les syndicats. M. Smolnik lui reproche d'avoir "pris le pas sur des instances légales, comme le CHSCT" (Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail). Il ne croit pas qu'il puisse "être reproduit ailleurs".
Ces critiques montrent que donner une "capacité d'agir" aux "professionnels", simples salariés ni syndicalistes ni managers, heurte les schémas traditionnels.
L'expérience Flins peut-elle faire école? Renault ne veut pas se prononcer tant que les négociations avec les syndicats sur un nouvel accord de compétitivité, portant notamment sur l'organisation du travail, sont en cours, a expliqué à l'AFP un porte-parole.
Selon Franck Daoût, la direction aurait retenu "le principe de donner la parole aux salariés" et promis d'"intégrer le dialogue sur la qualité du travail" dans l'organisation de toutes les usines mais "reste à savoir comment".
Au contraire, la démarche a été enterrée, affirme Fabien Gâche. Selon lui, il sera uniquement question de "mieux former" les managers à écouter le terrain, sans laisser aux ouvriers l'autonomie permise à Flins.
La pérennité de l'expérimentation "semble tout simplement compromise", se désole le Cnam, qui rappelle, dans une lettre à la direction du 15 octobre, consultée par l'AFP, que le "pouvoir d'agir retrouvé des opérateurs eux-mêmes" était au coeur de la démarche initiale.