Une source fantôme, des rapports d'enquête fictifs facturés à Renault: le parquet de Paris demande le renvoi en procès de quatre personnes soupçonnées d'avoir participé à des degrés divers à la retentissante fausse affaire d'espionnage qui avait ébranlé Renault (PA:RENA) en 2011 sur fond d'escroquerie au renseignement.
L'affaire avait éclaté en janvier 2011: trois cadres, accusés par leur employeur de s'être livrés à de l'espionnage industriel, avaient été licenciés sans preuve avant d'être innocentés.
Le parquet a requis le renvoi en procès des quatre protagonistes mis en examen dans ce dossier, dont deux ex-cadres de Renault, dans ses réquisitions du 21 octobre dont l'AFP a eu connaissance. La décision finale revient au juge d'instruction.
L'enquête, confiée à la Direction centrale du renseignement intérieur (devenue DGSI), a révélé que les accusations avaient été montées de toutes pièces sur des "mensonges et fabulations" et cachaient en réalité une escroquerie au renseignement au préjudice de Renault.
L'histoire commence avec une lettre anonyme adressée le 17 août 2010 au constructeur dénonçant l'acceptation de pots-de-vin par des salariés occupant des postes clés.
La direction de protection du groupe (DPG) confie alors une enquête interne à deux membres de son équipe, Marc Tixador, ancien policier et Dominique Gevrey, ancien militaire. Pour Renault, les soupçons d'espionnage concernaient des informations économiques et techniques sur les équipements de voitures électriques.
Très vite, leurs travaux "mettaient en exergue des flux financiers importants et anormaux sur des comptes ouverts dans des pays étrangers", a relaté une source proche du dossier.
Les informations étaient consignées dans des rapports à partir de notes blanches provenant d'une mystérieuse source en contact avec Dominique Gevrey, personnage central du dossier. Mais pour le parquet, "la source" était "un personnage créé de toutes pièces" pour percevoir indûment de l'argent de Renault.
Le parquet reproche à Dominique Gevrey d'avoir employé des "manoeuvres frauduleuses" et d'avoir "trompé" le constructeur pour lui soutirer des fonds à hauteur de 318.640 euros en lui présentant des fausses factures en règlement de prestations "inexistantes". Il réclame son renvoi en correctionnelle pour escroqueries.
Trois autres personnes sont elles aussi menacées par un procès: Guy Louvel, inspecteur des impôts affecté à la police judiciaire, soupçonné d'avoir consulté illégalement le fichier confidentiel Ficoba permettant d'identifier les comptes bancaires, sur la demande de Marc Tixador. Un consultant dans la sécurité, Michel Luc, est suspecté d'avoir émis des fausses factures à Renault et d'avoir remis des espèces et des virements à Dominique Gevrey.
- des agissements similaires dès 2009 -
Les investigations ont mis en lumière l'amateurisme de la DPG pour étayer les accusations à l'encontre des trois salariés. "Les enquêtes de la DPG étaient construites sur des comptes et des flux fictifs", identifiés à partir d'informations obtenues "sur la simple base d'une identité et d'une date de naissance", disent les magistrats dans leurs réquisitions.
M. Gevrey a toujours clamé sa bonne foi. Son avocat Jean-Paul Baduel dénonce un "réquisitoire minimaliste très protecteur de Carlos Ghosn qui conduit à poursuivre quatre lampistes!". Face à l'absence de mise en cause de Renault et de certains dirigeants, "c'est une enquête incomplète", a-t-il estimé en soulignant qu'un directeur avait donné son accord au paiement des fausses factures, en connaissance de cause.
L'instruction a révélé des agissements similaires au sein de Renault dès 2009. Quatre autres salariés, soupçonnés d'enrichissement personnel, avaient été licenciés sur la base d'informations "fantaisistes" selon une source proche du dossier. Dans cette première affaire, planaient déjà l'ombre de Dominique Gevrey et de sa "source".
"Le procureur désigne des coupables mais pour les victimes que je représente, il y a aussi un responsable: c'est Renault, que je ferai citer comme civilement responsable à l'audience", a réagi auprès de l'AFP Me Alexandre Varaut, avocat de ces quatre salariés. "Mes clients sont victimes en 2009. Mais les coupables n'ont pas été licenciés, au contraire. Et ils ont recommencé en 2011".
La tempête qui s'était abattue sur Renault en 2011 avait entraîné la démission du numéro 2 de Renault, Patrick Pélata, le débarquement de responsables et l'indemnisation des trois cadres licenciés à tort.